The Project Gutenberg EBook of Le Livre des Mères et des Enfants, Tome I.
by Marceline Desbordes-Valmore

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.net


Title: Le Livre des Mères et des Enfants, Tome I.

Author: Marceline Desbordes-Valmore

Release Date: December 4, 2004 [EBook #14258]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DES MÈRES ET DES ENFANTS ***




Produced by Suzanne Shell, Renald Levesque and the Online Distributed
Proofreading Team. This file was produced from images generously
made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)






1840.




PRÉFACE AUX ENFANTS.

Dieu, lorsqu'il eut fait les hommes, chercha un adoucissement à leurs peines: il mit au monde l'amour maternel.

Depuis ce temps les enfans sont heureux; ils ont des mères pour veiller sur eux, et pour les embrasser.

Étant petits, elles les soignent avec sollicitude, leur font des lits propres et doux, leur apprennent à prier, à lire, et à aimer. Elles les aiment tant, ces mères! Une d'elles, qui a bercé les siens en cherchant à les instruire par des leçons tendres et faciles, a rassemblé ces leçons pour tous les petits enfants, auxquels les siens envoient des voeux, des baisers, et leur livre qu'ils savent par coeur. Au revoir dans la vie, chers écoliers, courage!




SIMPLE PRIÈRE.

—Venez dire votre prière, mon amour.

—Ne jouez pas avec vos mains jointes;

—Ne cherchez pas à vous enfuir, ni à sortir de mes genoux; car vous êtes devant Dieu quand vous priez avec moi.

—Allons: il vous écoute.

—«Mon Dieu! étendez votre main sur ma mère, afin qu'elle me conduise où vous voulez que j'aille.

Je n'aurai jamais peur le soir dans le corridor sans lumière, parce que je sais bien que vous y êtes avec moi; quand je tomberai, je ne crierai pas, car sauvé ou blessé, c'est toujours dans vos bras que l'on tombe. Merci, mon Dieu, d'être partout où je serai! cette pensée me donnera du courage, et je n'aurai d'autre crainte que celle de vous déplaire.

Après avoir prié, je lèverai ma tête vers vous pour recevoir dans les rayons du jour les baisers que vous envoyez à vos enfants.

Bonsoir, mon Dieu! faites descendre la paix et le sommeil sur notre maison. C'est si doux de dormir comme les hirondelles dans leurs nids.»




L'ÉCOLIER.

Un tout petit enfant s'en allait à l'école.

On avait dit. Allez!... il tâchait d'obéir;

Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.

Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.

«Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler?

Moi, je vais à l'école: il faut apprendre à lire;

Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire:

Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre á voler?»

«Non, dit-elle; j'arrive et je suis très-pressée.

J'avais froid; l'aquilon m'a long-temps oppressée:

Enfin, j'ai vu les fleurs, je redescends du ciel,

Et je vais commencer mon doux rayon de miel.

Voyez! j'en ai déjà puisé dans quatre roses;

Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.

Vite, vite à la ruche! on ne rit pas toujours:

C'est pour faire le miel qu'on nous rends les beaux jours.»

Elle fuit et se perd sur la route embaumée.

Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert;

Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée

Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.

Une hirondelle passe: elle effleure la joue

Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue.

Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,

Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.

«Oh! bonjour! dit l'enfant, qui se souvenait d'elle;

Je t'ai vue à l'automne; oh! bonjour, hirondelle.

Viens! tu portais bonheur à ma maison, et moi

Je voudrais du bonheur. Veux-tu m'en donner, toi?

Jouons.—Je le voudrais, répond la voyageuse,

Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.

Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps;

Ils rêveraient ma mort si je tardais long-temps.

Non, je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,

J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.

Nous allons relever nos palais dégarnis:

L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids.

J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,

Je vais chercher mes soeurs, là-bas, sur le chemin.

«Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,

Il faut en profiler. Je me sauve.... A demain!»

L'enfant reste muet; et, la tête baissée,

Rêve et compte ses pas, pour tromper son ennui,

Quand le livre importun, dont sa main est lassée,

Rompt ses fragiles noeuds, et tombe auprès de lui.

Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.

Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,

De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.

Hélas! peut-on crier contre un enfant qui pleure?

«Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu,

Dit l'écolier plaintif? Je n'aime pas mon livre;

Voyez! ma main est rouge, il en est cause. Au jeu

Rien ne fatigue, on rit; et moi je voudrais vivre

Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours;

Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours;

«J'en suis très-mécontent. Je n'aime aucune affaire.

Le sort des chiens me plaît, car ils n'ont rien à faire.»

«Écolier! voyez-vous ce laboureur aux champs?

Eh bien! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître.

Il est très-vigilant; je le suis plus, peut-être.

Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants.

J'éveille aussi ce boeuf qui, d'un pied lent, mais ferme,

Va creuser les sillons quand je garde la ferme.

Pour vous même on travaille; et, grâce à vos brebis,

Votre mère, en chantant, vous file des habits.

Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange.

Allez donc à l'école; allez, mon petit ange!

Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux:

L'ignorance toujours mène à la servitude.

L'homme est fin, l'homme est sage, il nous défend l'étude,

«Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux;

Les chiens vous serviront.» L'enfant l'écouta dire,

Et même il le baisa. Son livre était moins lourd.

En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court.

L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.

À l'école, un peu tard, il arrive gaîment,

Et dans le mois des fruits il lisait couramment.




L'ENFANT GÂTÉ.

Que je vous dise ce que l'on m'a raconté d'un petit garçon!

Un jour qu'il s'était endormi profondément sur un monceau de fleurs, destinées à faire des guirlandes pour la Fête-Dieu, il se réveilla comme suffoqué, les membres engourdis, la tête lourde, si faible, si pâle, que sa mère crut qu'il allait mourir. Les fleurs, en trop grande abondance, voyez-vous, sont aussi dangereuses qu'elles sont attrayantes: il ne le savait pas, lui si nouveau dans ce monde.

Ainsi donc sa mère, triste et active en même temps, le veilla nuit et jour, ouvrant fréquemment les fenêtres, afin que son lit, qui n'était pas plus grand qu'un berceau, fût constamment purifié par l'air.

Mais les parfums avaient comme paralysé l'enfant. Sa mère en était si pleine d'affliction qu'elle ne mangea plus, ne dormit plus, et laissa coucher son doux malade sur ses genoux, jusqu'à ce qu'elle devint malade elle-même; car, nulle peine ne lui paraissait trop grande pour sauver la vie de sa jeune créature.

Il plût à Dieu de rouvrir les yeux fermés de l'enfant. Un soir il sourit à sa mère, et ils furent guéris tous deux!

Alors elle pensa qu'il allait être reconnaissant, qu'il l'aimerait davantage; car elle l'aimait davantage aussi pour tous les tendres soins que lui avait coûté ce cher amour malade.

Mais voici ce qui me coûte à vous avouer.

Il ne fut pas si bon qu'il devait l'être.

Si sa maman n'était pas à la maison, il ne voulait pas se laisser mettre au lit par sa bonne. Il criait, se tordait comme un petit serpent, jusqu'à ce qu'elle revînt. On dit même qu'un soir il tira la langue avec une grimace qui fît pleurer la Vierge, la Vierge si tendre aux enfants soumis! Ce train recommençait quand on l'habillait le matin. Il accrochait ses mains aux barres de son berceau, et criait: «Je veux maman! je veux maman!»

La servante était mortifiée dans son zèle et le déjeuné fort retardé; tout allait mal. Quand sa patiente mère lui montrait à lire, dans un livre acheté tout exprès pour lui, il retenait à peine une lettre, il roulait le coin des pages. Il était de plus, puisqu'il faut tout vous dire, devenu si friand, qu'il ne tendait les bras qu'aux gâteaux, dont il emplissait sa bouche à perdre la respiration. Un tel état de choses ne pouvait durer. Sa maman se mit à réfléchir en elle-même, et dit:

«Quelle triste chose! j'ai bercé et nourri cet enfant, je l'ai veillé sur mes genoux jusqu'à ce qu'il fût sauvé; je dois maintenant le guérir d'une autre maladie: la malice. Mon Dieu! inspirez-moi! car je trouve qu'il est devenu très-méchant, et je ne puis avoir ni paix ni calme avec lui.»

Dieu lui inspira de parler ainsi au petit gâté. J'ai à vous apprendre, enfant que je voudrais aimer comme autrefois, qu'il faut nous quitter pour un peu de temps. Venez donc que je vous embrasse, car nous ne nous reverrons que quand vous serez corrigé de vos mauvaises habitudes; vous avez troublé la paix de ma maison!

L'enfant s'arrêta devant sa mère sérieuse et grave; il la regarda long-temps et sa poitrine se souleva; car tout jeune qu'il était, il pensait que jamais et nulle part il ne trouverait une si douce amie que sa mère, et qu'il allait être malheureux. On doit avouer qu'il l'aimait beaucoup; plus que les gâteaux et plus que tout.

Il laissa donc éclater un sanglot, où sa mère entendit qu'il disait:

«Je serai bon! je serai bon!»

Cette promesse suffit pour attendrir la mère, qui le prit dans ses bras et lui dit: «je vous crois! ne pleurez plus.» Cette promesse fut, en effet, remplie comme si elle eût été faite par devant notaire, encore mieux peut-être;

Car vingt notaires ne sont pas plus imposants que la crainte de désobéir à une mère qui croit en vous, et de mentir à sa conscience, tribunal des petits comme des grands enfants de Dieu.




CONTE D'ENFANT

Il ne faut plus courir à travers les bruyères,

Enfant, ni sans congé vous hasarder au loin.

Vous êtes très-petit, et vous avez besoin

Que l'on vous aide encore à dire vos prières.

Que feriez-vous aux champs, si vous étiez perdu?

Si vous ne trouviez plus le sentier du village?

On dirait: «Quoi, si jeune, il est mort? c'est dommage!»

Vous crierez.... De si loin seriez-vous entendu?

Vos petits compagnons, à l'heure accoutumée,

Danseraient à la porte et chanteraient tout bas;

Il faudrait leur répondre, en la tenant fermée:

«Une mère est malade, enfants, ne chantez pas!»

Et vos cris rediraient: O ma mère! ô ma mère!»

L'écho vous répondrait, l'écho vous ferait peur.

L'herbe humide et la nuit vous transiraient le coeur.

Vous n'auriez à manger que quelque plante amère;

Point de lait, point de lit!... Il faudrait donc mourir?

J'en frissonne! et vraiment ce tableau fait frémir.

Embrassons-nous, je vais vous conter une histoire;

Ma tendresse pour vous éveille ma mémoire.

«Il était un berger, veillant avec amour

Sur des agneaux chéris, qui l'aimaient à leur tour.

Il les désaltérait dans une eau claire et saine,

Les baignait à la source, et blanchissait leur laine;

Du serpolet, du thym, parfumait leurs repas;

Des plus faibles encor guidait les premiers pas;

D'un ruisseau quelquefois permettait l'escalade.

Si l'un d'eux, au retour, traînait un pied malade,

Il était dans ses bras tout doucement porté;

Et, la nuit, sur son lit, dormait à son côté;

Réveillés le matin par l'aurore vermeille,

Il leur jouait des airs à captiver l'oreille;

Plus tard, quand ils broutaient leur souper sous ses yeux,

Aux sons de sa musette il les rendait joyeux.

Enfin il renfermait sa famille chérie

Dedans la bergerie.

Quand l'ombre sur les champs jetait son manteau noir,

Il leur disait: «Bonsoir,

Chers agneaux! sans danger reposez tous ensemble;

L'un par l'autre pressés, demeurez chaudement;

Jusqu'à ce qu'un beau jour se lève et nous rassemble,

Sous la garde des chiens dormez tranquillement.»

Les chiens rôdaient alors, et le pasteur sensible

Les revoyait heureux dans un rêve paisible.

Eh! ne l'étaient-ils pas? Tous bénissaient leur sort,

Excepté le plus jeune; hardi, malin, folâtre,

Des fleurs, du miel, des blés et des bois idolâtre,

Seul il jugeait tout bas que son maître avait tort.

Un jour, riant d'avance, et roulant sa chimère,

Ce petit fou d'agneau s'en vint droit à sa mère,

Sage et vieille brebis, soumise au bon pasteur.

«Mère! écoutez, dit-il: d'où vient qu'on nous enferme?

Les chiens ne le sont pas, et j'en prends de l'humeur.

Cette loi m'est trop dure, et j'y veux mettre un terme.

Je vais courir partout, j'y suis très-résolu.

Le bois doit être beau pendant le clair de lune:

Oui, mère, dès ce soir je veux tenter fortune:

Tant pis pour le pasteur, c'est lui qui l'a voulu.»

—«Demeurez, mon agneau, dit la mère attendrie;

Vous n'êtes qu'un enfant, bon pour la bergerie;

Restez-y près de moi! Si vous voulez partir,

Hélas! j'ose pour vous prévoir un repentir.»

—«J'ose vous dire non; cria le volontaire....»

Un chien les obligea tous les deux à se taire.

Quand le soleil couchant au parc les rappela,

Et que par flots joyeux le troupeau s'écoula,

L'agneau sous une haie établit sa cachette;

Il avait finement détaché sa clochette.

Dès que le parc fut clos, il courut à l'entour,

Il jouait, gambadait, sautait à perdre haleine.

«Je voyage, dit-il, je suis libre à mon tour!

Je ris, je n'ai pas peur; la lune est claire et pleine:

Allons au bois, dansons, broutons!» Mais, par malheur,

Des loups pour leurs enfans cherchaient alors curée:

Un peu de laine, hélas! sanglante et déchirée,

Fut tout ce que le vent daigna rendre au pasteur.

Jugez comme il fut triste, à l'aube renaissante!

Jugez comme on plaignit la mère gémissante!

«Quoi! ce soir, cria-t-elle, on nous appellera,

Et ce soir.... et jamais l'agneau ne répondra!»

En l'appelant en vain elle affligea l'Aurore;

Le soir elle mourut en l'appelant encore.




L'ENFANT AUX PIEDS NUS.

On a vu un garçon, qui paraissait avoir au moins trois ans, faire une chose qui étonna beaucoup ceux qui le regardaient et qui le blâmaient, comme vous le ferez aussi.

Il avait de beaux souliers qui empêchaient que ses pieds ne fussent meurtris par les pierres dures, ou mouillés par l'eau du puits qui rend les cours humides, il pouvait donc courir en sûreté et en joie: mais il prit dans sa tête qu'il serait mieux d'aller sans souliers, quoiqu'il ait vu quelques enfants pauvres aux pieds tors et sanglants, par la privation d'un bien si utile. Le voilà donc qui commence par rompre les forts cordons de sa chaussure, et qui livre au ruisseau d'abord un soulier, puis un autre, les regardant fuir et dériver le long de la rue, avec des battements de mains, et des regards joyeux. Cette petite flotte lui parut être le modèle d'un bateau de cuir; un brevet d'invention l'eût rendu moins fier. Les souliers, submergés et pleins d'eau, s'arrêtèrent par bonheur devant une pauvre femme, qui les fit sécher au soleil, remerciant Dieu de lui envoyer pour son enfant cette parure salutaire. Dieu n'avait pas voulu qu'ils fussent perdus pour tout le monde.

L'inventeur de bateau courut alors, ici dans l'herbe, là sur le gravier, ne manquant pas de s'humecter à chaque trou plein d'eau qu'il avait le bonheur de rencontrer et d'y faire des bulles. Ses bons bas chauds et bleus ne furent bientôt que des lambeaux malsains et noirs à ne pas les reconnaître.

Alors il se blessa: alors son pied saigna de la rencontre d'un verre brisé. Alors il revint un peu boiteux sur ses jambes froides comme la neige et rampa le long de l'escalier d'où sa mère le regardait venir.

—Pieds nus!... dit-elle, avec surprise.

—Non, maman, j'ai mes bas, dit le prodigue en osant les montrer pour sa justification!

—Fol enfant! reprit sa mère inquiète et fâchée; venez d'abord que je vous ôte ces bottes de boue et que je lave ce sang qui fait tourner le mien. Quand vous serez guéri, ah! que je vous gronderai!»

Mais elle ne le gronda que longtemps après, car il fut très malade, criant la nuit, avec la fièvre; souffrant une triste punition de sa faute. Après qu'il fut guéri et grondé; on lui racheta de beaux et bons souliers. Il n'en fit plus de bateaux, mais il les porta reconnaissant et soumis.




L'ENFANT ET LE PAUVRE.

«Mère! faut-il donner quand le pauvre est bien laid?

Qu'il ne fait pas sa barbe et qu'elle est toute noire,

Et qu'il ne dit pas s'il vous plaît?

Faut-il donner?

—Mon fils tu n'as pas de mémoire:

Le pauvre qui demande est l'envoyé de Dieu;

Qu'importe s'il a fait sa barbe et sa parure?

Il est beau du malheur écrit sur sa figure;

C'est là son passeport trop lisible en tout lieu!

—Mais, s'il est malhonnête?

—Il ne l'est pas s'il pleure,

Si son regard te dit: J'ai faim!

Veux-tu qu'il se prosterne en te tendant la main?

C'est l'envoyé de Dieu qui nous guette à toute heure.

Que ses lambeaux sacrés ne te fassent pas peur;

Il vient sonder ton âme avec son infortune;

Le mépris pour le pauvre est la seule laideur

Qui m'épouvante ou m'importune.

Dieu sur toi lui donne un pouvoir,

Bien au dessus de la parole!

Le jour où l'enfant le console,

Par une colombe qui vole,

Dieu le sait bien avant le soir!

Lui qui dit aux heureux du monde:

«—Donnez pour qu'il vous soit remis!

Et plus votre voie est profonde,

Pour que partout on vous réponde

Prenez les pauvres pour amis!»

Juge quand un enfant verse sa fraîche aumône,

A ce chercheur d'eau vive et qu'il lui dit: bonjour!

Comme au Christ altéré sous son âpre couronne,

Du ciel, dont il a soif, tu lui rends le séjour.

Oh! que ne puis-je dire à toute pauvre femme:

Prenez!

Comme l'instinct me crie à toute heure dans l'âme,

Donnez!

Oh! que j'allégerais de ces errantes mères,

Le sort!

Si Dieu changeait mes pleurs et mes pitiés amères,

En or!

Aux petits enfants nus, chauffés de leur haleine,

Si peu?

Je ferais, comme Dieu fait aux agneaux la laine,

Du feu!

Mais je regarde en haut pour que l'aumône pleuve,

Souvent;

Pour que toute humble barque entre au port sous l'épreuve

Du vent!

Pour que l'abandonné, lavant avec ses larmes

Son sort,

Les plonge dans la foi, qui rend belle et sans armes,

La mort!

Je regarde la croix qui saigne et qui pardonne,

Toujours!

La croix qui crie encor: Pour mon sang donne! donne

Tes jours!»

—Le Christ est beau! je l'aime et je joue au Calvaire,

Où j'ai fait un jardin tout bleu de primevère;

Mais les pauvres font peur. Mère! si j'étais roi,

Mes pauvres aux enfants ne feraient point d'effroi:

Ils n'auraient jamais faim de cette faim qui pleure,

Et ma colombe à Dieu l'irait dire à toute heure:

L'hiver, ils n'auraient point un âtre sans charbon;

De longs jours sans manteaux, de longs soirs sans lumière;

Je leur ferais des lieux dans de tièdes chaumières,

Et des habits qui sentent bon!

—Cher petit perroquet! comme tu parles vide!

Leur roi, c'est Dieu: La terre est leur froide maison..

Dieu regarde d'en haut si le plus fort avide,

Ne prend pas au plus faible un grain de sa moisson:

Un jour il pèse, il juge! autour de sa balance,

Les semeurs dépouillés se rangent en silence;

Le pauvre a recouvré le grain qu'il a perdu,

Et le plus fort est confondu.

N'ai-je pas lu cela dans tes leçons apprises?

—Oui. Mais ne gronde pas; j'ai donné tout mon pain,

Et la moitié de mes cerises

—Viens donc, que je te baise! Alors, sur le chemin,

N'as tu pas vu passer des ailes de colombe?

Toi si peu! tu soutiens un homme qui succombe!

—J'ai dit, bonjour!

—Tu fais ce que nous avons lu:

Dieu dit: puisez l'aumône à votre superflu.

—Du superflu, ma mère, en ai-je?

—C'est possible:

Au bord de l'indigence on se sent riche, hélas!

Le superflu, tu vois, c'est pour l'être sensible,

Tout ce que les pauvres n'ont pas!




LA POUPÉE MONSTRE.

Inès avait une nouvelle poupée. O joie! une poupée toute neuve, avec deux perles pour regarder Inès; deux bras pour les lui tendre nuit et jour; une bouche riante et silencieuse pour ne la contredire jamais.

Le premier jour ce fut entre elles un commerce doux et paisible. On n'entendait que le murmure des baisers d'Inès sur les joues écarlates de sa fille; elle avait déclaré q'elle voulait être sa mère. Le lendemain, Inès prit une voix grave et sévère. Elle paraissait mécontente de son idole et sur un certain bruit d'une petite main qui frappe un corps dur, accompagné de ces mots; allez! allez! allez! la maman d'Inès se montra. Il n'y avait pas à en douter, la poupée avait été fouettée. Sa belle robe rose en désordre l'attestait dans le coin sombre où elle était en pénitence.

—Que t'a-t-elle fait pour te changer ainsi? Maman, dit Inès exaltée, elle est boudeuse, entêtée; oh! maman! c'est un monstre! je lui donne tout ce que j'ai; eh bien!...

—Eh bien! dit sa mère: qu'exiges-tu de plus que le bonheur de lui donner? veux-tu qu'elle ait un coeur et une voix pour te remercier quand c'est toi qui lui dois de la reconnaissance? confie-moi ta fille à élever, chère enfant, je t'apprendrai le métier de mère: il est difficile! crois-tu que ce soit parce que tu es parfaite que je ne peux me résoudre à te fouetter? c'est parce que je t'aime et que je n'exige pas qu'une tête si petite que la tienne comprenne ce que j'ai appris depuis si longtemps. Sois donc pour la poupée ce que je suis pour toi. La maman d'Inès s'éloigna après l'avoir tendrement embrassée.

Inès demeura au milieu de la chambre jetant de longs regards vers le coin où la disgraciée lui parut triste, elle s'en approcha de meuble en meuble et lui dit enfin à l'oreille:

—Viens, je t'aime encore. Je n'exige pas qu'une tête si petite que la tienne comprenne ce que j'ai appris depuis si longtemps!»

Pour tes enfants, chaque parole nouvelle porte on bon ou un mauvais enseignement.




DEUX CHIENS.

Deux vrais amis, deux chiens arrêtés dans la rue,

Causaient, s'entreplaignaient du départ des beaux jours,

Ceux qu'on nomme l'enfance et qu'on rêve toujours,

Cette aurore si vive et sitôt disparue!

O jeux sans esclavage! ô festins enchantés!

Par tout ce qui s'en va vous êtes regrettés;

On ne connaît chez vous de maître qu'une mère;

Et cette ambitieuse est facile à servir:

Le bonheur du plus faible est sa seule chimère;

C'est à force d'amour qu'elle veut asservir!

Les deux chiens en pleuraient. Les chiens ont-ils une ame?

Ce qui les fait penser, est-ce un peu de la flamme

Qui me luit: Dieu le sait? ils pleurèrent d'abord,

Grincèrent au présent et s'attristèrent fort.

Puis, celui qui des deux aimait encore à rire,

Cria: nous sommes fous, je suis prêt à l'écrire,

Rappeler au bonheur devrait être un plaisir;

Le bien qui fut mon frère est plus sûr qu'un désir,

Et nous le déplorons à nous rendre malade;

Nous regardons la vie avec des yeux troublés;

Le soleil est-il mort? les deux sont-ils voilés?

Nos pieds sont-ils aux fers? courons, mon camarade!

—«Vous m'égayez toujours! répond le moins heureux,

Le moins libre, je pense, et le moins amoureux,

Dont la condition semble seule adoucie

Par l'honneur d'être chien d'un lord,

Et par l'anneau qui ferme avec un secret d'or

Sa cravate en cuir de Russie.

«Oui, frère, touchez-là; nous sommes un peu fous;

Mais je veux, dès demain, l'oublier avec vous:

Nous recevrons demain; je veux dire mon maître,

L'hôtel sera bruyant; voulez-vous le connaître?

C'est là: venez demain! mais pour y pénétrer,

Ne vous fourvoyez pas: laissez d'abord entrer

Les parents, les amis: par un orgueil étrange,

Mon maître pour les siens jamais ne se dérange,

Car mon maître est très noble et ne leur doit qu'un pas.

Mais lorsque vous verrez dans ses jeunes appas,

Une belle...une fleur! de son frêle équipage

S'élancer en oiseau sur le bras de son page,

Entrez sans vous courber, sans craindre les refus:

Quand mon maître la voit, mon maître n'y voit plus!

Et de rire, un landau roulant vient les distraire.

«La porte s'ouvre; adieu, je vous quitte, mon frère;

Car on siffle après moi. Quand il revient des champs,

Mon maître autour de lui veut avoir tous ses gens.»

Castor pressant le pas médite sa parure,

Il n'avait de six mois démêlé sa fourrure,

Car son maître est si pauvre et si peu glorieux,

Et si laborieux!

L'artisan voit sitôt la fin de sa journée,

Qu'il pèse le moment comme un riche, l'année.

Du luxe leur grenier n'offrait pas le tableau,

Et Castor se baignait quand il tombait de l'eau.

Il en cherche ce soir: on ne veut pas déplaire;

On égaie un festin d'une robe plus claire,

Et sans l'anneau doré de ses frères les lords,

Il lava sa misère; elle fut belle alors!

Quand il sortit lavé, les chiens du voisinage,

Une blanche levrette à l'avril de son âge.

Qui déjà le voyait d'un oeil humide et doux,

Accourut pour savoir, ils accoururent tous:

Il conta sa fortune à l'amante modeste,

Et puis plus bas: «ce soir je vous dirai le reste.»

La tremblante levrette entendit ses adieux,

Le salua pensive et le suivit des yeux.

Ce jour gros d'une fête éclate d'espérance;

Et revêt pour Castor sa plus rose apparence;

Il va cueillir ses fruits au toit de l'amitié,

Et du bonheur qui mange apprendre la moitié!

Tous les gardiens sont hors de la cuisine; ô joie!

La broche tourne seule; on flaire! on peut choisir;

L'eau leur en vient du cour et prêts à s'en saisir,

Ils dansent autour de leur proie!

Elle est lourde et brûlante, il faut la partager.

Ciel! si près du plaisir pourquoi donc le danger?

Laissez-leur ce bazar dont l'odeur les enchante;

Point! dans l'hôtel en vain l'on s'enivre, l'on chante,

L'orage couve et gronde: un marmiton hideux,

Et prompt comme la mort s'élance au milieu d'eux:

Il épargne Pollux qui hurle et qui se nomme;

Et jette au vent Castor, l'indigent gastronome!

Tournoyant et troublé, mais retenant ses cris,

Castor tombe au milieu des chiens errants surpris,

Qui rassemblés en club à la porte fermée,

Mangeaient plus noblement leur pain à la fumée.

Regarde avant d'entrer par où tu peux sortir:

Malheureux, rire avec les heureux, c'est mentir!




LA BRISEUSE D'AIGUILLES.

Une petite fille dont je ne peux me décider à écrire le nom, parce qu'elle serait triste qu'on la connût commençait à faire quelques ouvrages assez réguliers. Pourtant elle tenait si gauchement ses aiguilles qu'elle les brisait toutes. C'était déjà mal; mais ce qui l'était bien plus, c'était de jeter tous ces débris à travers la chambre comme une petite sans soins, sans prévoyance pour les accidents qui pouvaient en résulter.

—Soyez sûre, lui dit plusieurs fois sa maman, que cette habitude vous fera du chagrin; car vous blesserez quelqu'un en répandant ainsi ces fines pointes d'acier qui peuvent pénétrer à travers des souliers légers. Jugez des pieds nus! voudriez-vous, ma fille, avoir jamais blessé quelqu'un? Oh! non, maman, c'est la dernière fois, s'écria-t-elle en relevant à part ces fragments dangereux. Et ce ne fut pas la dernière fois.

Elle travailla encore sans se corriger; elle cassa des aiguilles et pour ne pas employer l'espace d'une seconde à les ranger avec ordre, elle les jeta par dessus sa tête comme un vrai dragon de désobéissance, en ayant l'air de dire: bah! tant pis!

C'était un tort ajouté à deux autres torts; cela ne fait-il pas de la peine? Moi, cela m'en fait; car, du reste, cette petite imprudente n'était pas méchante, vous allez voir.

Un matin, son plus jeune frère qui commençait à marcher seul, fut un moment laissé par sa bonne auprès de son berceau, sans qu'elle lui eût mis encore ses souliers. L'enfant tout libre et tout content, accourut ainsi pieds nus, pour embrasser sa soeur qui était fort affairée d'un feston plus fin que les autres, où elle avait déjà cassé bien des aiguilles.

Un cri perçant de l'innocente créature fit pâlir la petite brodeuse. Avec un battement de coeur que l'on devine elle accourut au secours de l'enfant, qui, tombé de douleur, tenait en l'air son petit pied en poussant des cris si perçants que sa soeur ne pouvait les étouffer en le baisant sur sa bouche toute grande ouverte.

Ce fut une pitié de voir ce pied délicat s'enfler, malade et fiévreux au point qu'il fallut des bains de mauve, des compresses de lait, des bandelettes et des soins de mère qui valent un régiment de médecins, pour empêcher que ce pied charmant ne fût coupé; ce qui fait frémir d'y penser. Ce fut triste aussi de voir cette pauvre briseuse d'aiguilles, pleine de repentir, pâle et honteuse entre sa mère qui était fort grave et son chère frère, enveloppé comme un petit boiteux, qui la caressait au lieu de lui faire un reproche.

Nous devons lui rendre la justice de dire qu'elle se corrigea pour la vie et devint la plus rangeuse du monde. Mais à quel prix! Ne valait-il pas d'abord mieux écouter la tendre leçon de sa mère? qu'en dites-vous? Moi je pense que cela valait cent fois mieux. Je vous prie de profiter de sa faute en la lui pardonnant comme Dieu la lui a pardonnée.

L'ordre est une vertu si attrayante, qu'elle invite toutes les autres à venir se ranger autour d'elle,




UN ENFANT A SON FRÈRE.

Qui m'a couvé neuf mois dans son sein gros d'alarmes?

Qui salua ma vie avec des pleurs joyeux?

Qui sous ses longs baisers éparpillait mes larmes?

C'est ma mère. Une mère en ses bras pleins de charmes,

Nous reçoit tout tremblants quand nous tombons des cieux.

Qui relevait mes pas quand je rampais à terre,

Forte de son sourire où s'arrêtaient mes pleurs?

Sa bouche sur ma bouche, oh! qui me faisait taire?

C'est ma mère! une mère avec un saint mystère,

Enveloppe nos cris dans ses chants ou ses fleurs!

Qui soutenait ma tête et retenait ma vie,

Quand mon berceau brûlait de mes fièvres d'enfant?

Qui promettait le monde à ma rêveuse envie?

C'est ma mère. Une mère à toute heure est suivie

D'un ange à la main pleine, au rire triomphant!

Qui, lorsque l'insomnie ouvrait mes yeux dans l'ombre,

Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil?

Qui m'apprenait que Dieu veille la nuit dans l'ombre?

C'est ma mère. Une mère a des secrets sans nombre,

Pour délecter notre âme à l'heure du réveil.

Quand elle eut délié ma langue à la prière,

Qui battait la mesure à mes douces chansons?

Sur mon livre muet qui versa la lumière?

C'est ma mère. Une mère ouvre notre paupière;

Au feu de ses regards, moi, j'ai lu mes leçons.

Quand elle vieillira.... Dieu! n'est-ce pas un rêve?

Elle a dit qu'elle aura bientôt des cheveux blancs;

Qu'elle s'inclinera comme un jour qui s'achève,

Cette mère. À son coeur nous prenons tant de sève!

Dis, que ce sera triste à voir ses pas tremblants?

Si tu veux, nous irons où l'on trouve des roses,

Pour lier une fleur à chacun de ses jours;

Nous irons dans un bois sombre et loin si tu l'oses,

Et nous la retiendrons par tant de belles choses,

Qu'à force d'être heureuse elle vivra toujours!




LA LUMIÈRE.

Un soir on vit un homme marchant droit dans l'obscurité au milieu d'une place. Il portait sur sa tête une lumière solidement fixée à son chapeau.

Plusieurs se mirent à rire en passant près de lui; car ils s'aperçurent qu'il était Aveugle.

—La lumière est-elle faite pour les aveugles? demandèrent-ils en se moquant.

—Ce n'est pas pour moi que je l'ai plantée ainsi, répliqua tranquillement l'aveugle: c'est pour vous, que je ne vois pas, et qui me voyez mieux au moyen de cette lumière. Vous pouvez éviter ainsi le choc de ma rencontre, en passant à deux pas de moi, qui me jetterais sur vous et qui vous blesserais peut-être. J'imite la Providence qui place toujours un indice aux dangers qu'elle sème devant l'homme. Moi, je suis le danger: ceci en est le phare!

Ils s'éloignèrent tous en disant:—Cet homme est sage.

Ne vous moquez jamais d'une chose avant de l'avoir comprise.




LE PETIT MENTEUR.

Venez bien près, plus près, qu'on ne puisse m'entendre.

Un bruit vole sur vous, mais qu'il est peu flatteur!

Votre mère en est triste; elle vous est si tendre!

On dit, mon cher amour, que vous êtes menteur.

Au lieu d'apprendre en paix la leçon qu'on vous donne,

Vous faites le plaintif, vous traînez votre voix,

Et vous criez très-haut: Hé! ma bonne! ma bonne!

L'écho, qui me dit tout, m'en a parlé deux fois.

Vous avez effrayé cette bonne attentive.

Et, pour vous secourir,

Près de vous, toute pâle, on l'a vue accourir:

Hélas! vous avez ri de sa bonté craintive,

Enfant! vous avez ri! quelle douleur pour nous!

On ne croira donc plus à vos jeunes alarmes?

Si j'avais eu ce tort, j'irais à deux genoux

Lui demander pardon d'avoir ri de ses larmes;

J'irais... Ne pleurez pas; causons avant d'agir;

Écoutez une histoire, et jugez-la vous-même:

Cachez-vous cependant sur ce coeur qui vous aime;

Je rougis de vous voir rougir.

«Au loup! au loup! à moi!» criait un jeune pâtre;

Et les bergers entr'eux suspendaient leurs discours.

Trompé par les clameurs du rustique folâtre,

Tout venait, jusqu'aux chiens, tout volait au secours.

Ayant de tant de cours éveillé le courage,

Tirant l'un du sommeil, et l'autre de l'ouvrage,

Il se mettait à rire, il se croyait bien fin:

«Je suis loup,» disait-il. Mais attendez la fin.

Un jour que les bergers, au fond d'une vallée,

Appelant la gaîté sur leurs aigres pipeaux,

Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux,

Et de leurs pieds joyeux pressaient l'herbe foulée

«Au loup! au loup! à moi!» dit le jeune garçon;

«Au loup!» répéta-t-il d'une voix lamentable.

Pas un n'abandonna la danse ni la table:

«Il est loup, dirent-ils; à d'autres la leçon.»

Et toutefois le loup dévorait la plus belle

De ses belles brebis;

Et pour punir l'enfant qu'il traitait de rebelle,

Il lui montrait les dents, et rompait ses habits:

Et le pauvre menteur, élevant ses prières,

N'attristait que l'écho; ses cris n'amenaient rien.

Tout riait, tout dansait au loin dans les bruyères:

«Eh quoi! pas un ami, dit-il, pas même un chien!»

On ajoute, et vraiment, c'est pitié de le croire!

Qu'il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants;

Et, quand il vint en pleurs raconter son histoire,

On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants.

«Il ne ment pas, dit-on, il tremble! il saigne! il pleure!

«Quoi! c'est donc vrai, Colas?» Il s'appelait Colas.

«Nous avons bien ri tout-a-l'heure;

«Et la brebis est morte! elle est mangée...hélas!»

On le plaignit. Un rustre, insensible à ses larmes.

Lui dit: «Tu fus menteur, tu trompas notre effroi:

«Or, s'il m'avait trompé, le menteur fût-il roi,

«Me crierait vainement aux armes.»

Et vous n'êtes pas roi, mon ange, et vous mentez!

Ici, pas un flatteur dont la voix vous abuse;

Vous n'avez point d'excuse.

Quand vous aurez perdu tous les cours révoltés,

Vous ne direz qu'à moi votre souffrance amère,

Car on ne ment pas à sa mère.

Tout s'enfuira de vous, j'en pleurerai tout bas;

Vous n'aurez plus d'amis, je n'aurai plus de joie:

Que ferons-nous alors? Oh! ne vous cachez pas!

Prenez un peu courage, enfant; que je vous voie;

Vous me touchez le coeur, j'y sens votre pardon;

Allez, petit chéri, ne trompez plus personne;

Soyez sage, aimez Dieu, priez qu'il vous pardonne;

Il est père, il est bon!




LA PETITE AMATEUR DE CRÈME.

Une chambre au laitage était ouverte sur le grand jardin où Félicité se promenait et où Félicité s'ennuyait. Car il n'y avait plus alors ni fruits ni fleurs dans le grand jardin, et Félicité, qui avait cinq ans, aurait voulu qu'il y eût toujours des fruits et des fleurs.

Sautant sur un pied, puis sur l'autre, pour faire du bruit dans les feuilles sèches et ne s'amusant pas du tout de cette aride musique, elle entra dans la chambre fraîche où l'odeur de laitage et de crème lui fit venir l'eau à la bouche, ce qui dégénéra en une mauvaise pensée!

Au lieu d'attendre et de dire:—Ma tante ( Félicité était chez sa tante), voulez-vous me donner un peu de ce bon lait qui sent si bon? ce que sa tante eût fait avec tendresse; car elle était comme beaucoup de tantes, remplie d'amour pour les enfans. Eh bien non, Félicité aima mieux se préparer un long ennui; car une faute trouble bien des jours, quand même ils seraient pleins de soleil, pleins de fleurs et d'aventures merveilleuses.

Félicité traîna audacieusement une table sous la longue planche où reposaient les vases pleins de lait, quelques-uns en terre, quelques autres en cuivre brillant comme de l'or. Il est certain que cette exquise propreté ravissait les yeux en les attirant.

Après quelques efforts et par le secours d'une chaise, elle se trouva sur la table, les bras tendus et la tête levée comme un petit chat trop faible encore pour sauter et atteindre une proie éloignée. Comme par un avertissement du ciel, qui laisse toujours le temps de la réflexion avant de commettre le mal, elle en était encore, comme on dit, à une lieue. Mais elle fit la sourde et ne voulut pas entendre sa conscience lui crier tout bas: Va-t-en!

Elle resta, redescendit de la table, parvint, avec un travail qui redoublait sa soif, à poser celle lourde chaise de campagne sur la table déjà bien haute, et mit encore par dessus un escabeau qui servait à traire les vaches. C'était comme une montagne, un vrai mât de cocagne; car la crème était au bout! sa tête blonde, y entra jusqu'à ses épaules.

Sa généreuse tante en eut pitié. La voyant chanceler sous le double poids de son repentir et du chaudron de cuivre, elle la recueillit dans ses bras, trempée comme d'un naufrage, coiffée de ce vilain bonnet qui la couvrait, je vous assure, de plus de honte encore que de lait.

Ce n'est pas tout; c'est rarement tout quand il s'agit d'expiation et de regret: ses petits cousins entrèrent et se mirent à crier contre elle: «Ah! ah! Félicité! ah! ah! Félicité!» Les genoux de Félicité tremblaient, et la punition était bien grande!

On la conduisit, avec quelques égards cependant, on en doit même au coupable qui ne peut se défendre; on la conduisit jusqu'à la porte de la rue, où les passants se demandaient: «Pourquoi cette petite sa tête blonde, y entra jusqu'à ses épaules.

Sa généreuse tante en eut pitié. La voyant chanceler sous le double poids de son repentir et du chaudron de cuivre, elle la recueillit dans ses bras, trempée comme d'un naufrage, coiffée de ce vilain bonnet qui la couvrait, je vous assure, de plus de honte encore que de lait.

Ce n'est pas tout; c'est rarement tout quand il s'agit d'expiation et de regret: ses petits cousins entrèrent et se mirent à crier contre elle: «Ah! ah! Félicité! ah! ah! Félicité!» Les genoux de Félicité tremblaient, et la punition était bien grande!

On la conduisit, avec quelques égards cependant, on en doit même au coupable qui ne peut se défendre; on la conduisit jusqu'à la porte de la rue, où les passants se demandaient: «Pourquoi cette petite fille a-t-elle un si grand pot de cuivre sur la tête?»

Un triste et humiliant silence suivait cette question qu'elle entendait sous l'espèce de prison sonore où bruissaient les paroles que l'air y faisait entrer, et l'on s'en allait pour en causer par la ville.

Sa tante, qui avait défendu à ses petits cousins de renouveler le charivari, eut la bonté de ne lever sa coiffure que lorsqu'elle fut rentrée tout au fond de la maison, afin que personne au moins ne vit son doux visage si blanc de crème et si rouge de honte, que je n'essaie pas de vous le peindre.

Félicité, dont le coeur était près d'éclater d'amertume, et pourtant de reconnaissance envers son juge, ne put qu'articuler au milieu d'un sanglot: «Oh! ma tante?» Sa tante n'en reparla jamais. Cela s'est répandu sourdement, et je vous le raconte, non pas en haine de Félicité qui attendit toujours depuis que Dieu lui envoyât le bonheur au lieu de le prendre ainsi à l'assaut: je vous le raconte pour vous engager instamment à profiter de cet exemple, afin d'en éviter la punition.

Notre conscience est notre plus intime amie. C'est elle qui fait notre lit, et qui couche avec nous jusqu'à la mort.

Quand on ne peut pas dire en face: Bonsoir, ma conscience! on dort mal!




L'ENFANT AMATEUR D'OISEAUX.

Ecoute, oiseau! je t'aime et je voudrais te prendre.

Pauvre oiseau! sans témoins, comment peux-tu chanter?

Moi, quand je suis tout seul, je m'en vais. S'arrêter,

C'est attendre ou dormir; et courir, c'est apprendre.

Viens courir! je t'invite à mon jardin très grand,

Plus grand que cette plaine et qui sent bon de roses;

Mon père y va chanter ses rimes et ses proses;

Ma mère y tend son linge et le lave au courant;

Moi j'y vis en tous sens comme l'oiseau qui vole,

Je monte aux murs en fleurs, aux fruits plantés pour moi;

J'ai hâte de manger les plus beaux avec toi!

Viens-nous partagerons tout, excepté l'école.

L'école, c'est ma mort! jamais tu n'y viendras.

Je serais bien fâché d'y faire aller personne.

Je n'ai jamais sommeil que quand l'école sonne.

Toi, libre chez ma mère, heureux, tu m'attendras

Dans ta cage bien close: elle est neuve et cachée

Sous la vigne flottante autour de la maison.

Tu verras le soleil descendre à l'horizon

Et tu diras le jour à ma mère couchée.

Tu n'as vu nulle part de nid mieux fait, plus vert;

Plus frais quand on a chaud, plus chaud quand c'est l'hiver;

Tout s'y trouve. On y peut loger un grand ménage

D'oiseau. C'est un palais!»

L'OISEAU.

—Oui. Mais c'est une cage.

Et pour mes goûts d'oiseau, mon garçon, j'aime mieux

Les cieux!




L'EMPRUNTEUR.

Je voudrais, dans l'amour que je leur porte, guérir tous les enfants du désir d'emprunter. Cette manie de s'approprier pour un temps le bien d'autrui s'étend quelquefois sur la vie entière et la remplit de trouble, d'embarras et de honte. Henri, du moins, en est corrigé, et j'en suis très-contente pour Henri.

Tout ce qu'il voyait aux autres le tentait, ce pauvre Henri. Il s'en faisait bientôt un besoin réel et ne pouvant acheter les objets de son ardente fantaisie, n'osant dire franchement: «Donne-le-moi,» ce qui eût été du moins plus loyal, il prenait un détour pour s'initier dans la possession du bien des autres, et disait: «Veux-tu me le prêter?» On le lui prêtait; mais il eu résultait bien des désagréments, car Henri ne rendait pas vite. Il était oublieux d'une part, de l'autre peu soigneux; et, lorsqu'après bien des réclamations, des reproches, qui altèrent l'amitié des enfants comme des hommes, il restituait enfin ce dont il avait usé en vrai propriétaire dissipateur, ce qu'il rendait était affreux; souillé, taché, en lambeaux.

Cette conduite lui fondait une réputation détestable. Un jour il entendit dire de lui:

—Ne lui prête que ce que tu veux perdre.

—C'est ce que je fais, répondit un autre enfant fort sage; je ne prête jamais sans réflexion; et ce que je prête alors, je dis en moi-même: «Je le donne pour toujours.» J'évite ainsi l'impatience d'attendre, et le chagrin de me brouiller; car l'emprunteur se fâche souvent de ce qu'il appelle votre importunité, et se sauve avec cette excuse un peu aigre: «On te le rendra!»

Henri fit la moitié d'un retour sur lui-même; mais sa conscience resta en chemin et se rendormit sur cette mortification. «On ne me l'a pas dit en face!» pensa-t-il, avec la mauvaise foi de la paresse, qui emprunte aussi de mauvaises raisons à l'orgueil.

Il oublia donc qu'il retenait depuis un mois le sabre en fer blanc et le bonnet de hussard d'Alphonse, avec lesquels il avait tant fait la guerre dans sa chambre et dans les rues, que le bonnet ne ressemblait plus qu'à une vieille boîte à poudre, et que le sabre n'eût pas coupé un fil, tant il était tordu, rouillé, méprisable.

Une compagnie nombreuse était réunie à dîner chez la mère de Henri. Paisible comme l'innocence, il mangeait bien, riait de voir rire ceux qui n'avaient aucun reproche à se faire, et se croyait à cent lieues d'un affront.

Tout à coup on sonne; on parle dans le vestibule; tout has d'abord, puis tout haut et vivement.

—Qu'est-ce donc? dit la mère de Henri.

—C'est M. Henri qu'on demande, madame.

—Faites entrer. Comment donc? Henri n'a pas de secrets pour nous.

Et la gouvernante d'Alphonse est introduite.

Henri crut que la table et sa chaise et lui s'enfonçaient dans la terre. Ses yeux hagards s'attachèrent sur cette femme, et il eût alors donné de son sang pour n'avoir jamais emprunté rien en sa vie. Voeu tardif et poignant!

—Que voulez-vous, ma bonne? dit poliment la mère de Henri, pensant peut-être qu'on venait inviter son fils à quelque réunion d'ombres chinoises, dont il s'occupait avec talent.

—Madame, répondit avec respect et fermeté la gouvernante, je viens chercher le sabre et le bonnet de hussard de mon jeune maître. M. Henri l'a emprunté depuis un mois; il est impossible de se le faire rendre; j'ai pensé que madame voudrait bien l'ordonner à son fils.

Tous les convives se regardèrent entre eux avec un étonnement qui serra le coeur de la tendre mère. Quel coup pour elle! je vous le demande? quelle tristesse de voir le front rouge et brûlant de Henri prêt d'éclater sous les regrets de feu qui couraient dans sa tête. Oh! que sa mère était à plaindre! Elle le contempla dans sa honte, qui faisait la sienne; je ne peux pas vous dire avec quel mélange d'amour et d'amertume et de reproche silencieux. Jugez-en, quand vous saurez que tous les convives en eurent les larmes aux yeux et cessèrent de manger.

Cependant elle, courageuse, ordonna d'une voix calme à son fils d'aller chercher les objets réclamés, ne prévoyant que trop la nouvelle humiliation qui l'attendait.

Henri, la tête penchée sur l'estomac, traversa eu chancelant la foule des témoins et revint chargé de l'emprunt où personne ne reconnut un sabre, ni un bonnet de hussard. C'était laid, c'était humiliant pour la mère.

Elle les prit des mains de son coupable enfant, et lui dit avec une tendre sévérité:

«—Vous vous êtes trompé, Henri, ceci n'est pas ce qu'on réclame.» Et elle jeta cette horreur dans un grand feu.

Puis ouvrant une armoire où elle aimait à renfermer les douces surprises de Henri, elle en retira le plus beau shako de hussard qu'on ait jamais vu au monde, un sabre superbe, non en fer-blanc, mais d'acier bien trempé, élégamment soutenu par un ceinturon de maroquin rouge brodé d'or, enrichi d'agrafes à têtes de lions dorées.

—Voilà, dit-elle, ce que j'avais destiné aux étrennes de Henri, connaissant tout son penchant pour les parures militaires. Dites à son ami Alphonse avec quel plaisir et quel empressement il le lui envoie, heureux de restituer ce qu'il a si indignement détruit.

Henri n'emprunta plus rien, Sa mère lui fit comprendre: que l'emprunteur de profession n'est qu'un voleur prudent.




LE PÉLICAN OU LES DEUX MÈRES

Tout perdu dans les soins de sa jeune famille,

Sur la vague qui passe, et qui roule, et qui brille,

Un pélican s'incline, et saisit des poissons

Qu'il offre en espérance à ses chers nourrissons.

Sans affaire, et livrée à l'amour d'elle-même,

L'autruche, en digérant, vient le long du rocher.

Son repas est fini, qu'aurait-elle à chercher?

Elle porte tout ce qu'elle aime.

«Grand dieu! d'où venez-vous? dit-elle au tendre oiseau

Dont la poitrine est ouverte et sanglante.

Sortez-vous d'un combat, d'un piège, d'un réseau?

Le coup est-il mortel? j'en suis presque tremblante.

Parlez donc! quelle flèche ou quel ongle assassin

Vous déchira le sein?

Vous faites peur.—C'est moi, c'est un peu de ma vie,

Répond le pélican à sa pèche assidu.

Vous allez me porter envie:

Mes petits avaient faim; mon sang n'est pas perdu,

Je l'ai versé pour eux.—Quoi! dit l'autre irritée;

Votre sang... taisez-vous! on ne peut sans horreur

Supporter dans l'amour cet excès de fureur;

Il soulève, il repousse, et j'en suis révoltée.

Vous perdez le bon sens, vos petits vous tueront,

Et les oiseaux riront.

Laissez ces préjugés aux tendres tourterelles.

L'amour est un besoin qu'il est doux d'éprouver,

Mais je n'aurais point d'oeufs s'il fallait les couver.

Quel emploi, quel ennui d'étendre ainsi les ailes,

De garder la maison, d'y mourir de chaleur!

L'hymen n'est donc pour vous qu'un travail, un malheur?

Se torturer le flanc, s'appauvrir l'existence,

Mourir pour satisfaire à l'importune instance

De petits jeunes dévorants,

Dont les cris déchirants

Troublent et le somme et la veille!

D'en parler seulement je me blesse l'oreille.

Ce fanatisme fait pitié;

Toutefois, s'il est temps, écoutez l'amitié.

Mon exemple peut vous instruire;

Loin de couver, de me détruire,

Au hasard je laisse mes oeufs:

Le ciel veille sur moi, le ciel veille sur eux.

Je ne me charge pas de ce soin haïssable.

Je suis mère pourtant, je les couvre de sable.

Si la pluie et l'orage, et les vents tour à tour,

Ne les écrasent pas avant de naître au jour,

Si le milan ne les dévore,

La chaleur du soleil enfin les fait éclore:

La nature en prend soin, et tous les éléments

Composent mieux que moi leurs premiers aliments.

Ils s'envolent alors et vont chercher fortune.

Je n'ai pas supporté leur enfance importune.

Ce qu'ils deviennent, je ne sais:

Je me porte bien, c'est assez.

—Méchante! ah! méchante endurcie!

De quel aveuglement ton amie est obscurcie?

Tu n'as donc d'une mère obtenu que le nom?

Va, tu glaces mon cour, tu blesses ma raison.

Quoi! te déshériter des larmes d'une mère,

De ses tourments délicieux,

De ses plaisirs silencieux,

Où tout est volupté bien que parfois amère!

Quand je sens mes petits s'agiter sous mon sein,

Quand leurs cris me disent: J'ai faim!

Oh! quel bonheur j'éprouve à leur donner ma vie!

Mais ma douce blessure est promptement guérie:

On dirait que l'extrême amour

Renaît sans cesse de lui-même:

On le prodigue en vain, comme le feu du jour,

Il se ranime encor pour nourrir ce qu'il aime.

Va chercher les enfans; tu me remercieras,

Si tu peux les trouver et devenir sensible;

Ton sort, au milieux d'eux, s'écoulera paisible;

Va, ne crains plus la mort; sois mère, tu vivras!




LE PETIT DANSEUR.

Jamais je n'ai vu Edouard danser en rond avec tant de courage que le jour qu'il dansait tout seul autour d'un seau plein d'eau, planté par hasard au milieu de la cour de ses tantes.

C'étaient des bonds, des cercles, des passes, une légèreté, une vélocité, des sauts joyeux à faire envie aux jambes les plus paresseuses. Il poussait des cris de joie qui ne pouvaient sortir que de la plus belle action du monde; ses tantes le pensaient du moins, en le regardant émerveillées de ce bal qu'il se donnait à lui-même. La curiosité les fit descendre, fort heureusement pour lui sans doute, au moment où Griffa, la chatte ordinairement paisible du logis, mais qui miaulait aussi fort qu'il chantait, poussée par l'exemple ou par un instinct de vengeance, s'élançait au visage du danseur et lui plantait ses griffes dans les cheveux, avec autant d'énergie qu'il en mettait à se réjouir. Des cris qui n'étaient plus de victoire appelèrent au secours tout ce qu'il y avait de vivant dans la maison, et ce fut avec bien de la peine, qu'on parvint à détacher les pattes du blanc animal, de la chevelure mêlée et dressée d'horreur du pauvre Edouard.

—Méchante! criait-il, tu me griffes!

Mais vous pouvez juger de l'étonnement et de l'indignation de ses tantes, les meilleures tantes qu'on puisse trouver, lorsqu'elles virent nager au milieu du seau d'eau, les trois petits encore aveugles de l'infortunée Griffa. Les gémissements de cette mère éperdue vous auraient assurément plus touché que les cheveux en désordre de monsieur Edouard; car, bien qu'il ait manqué de perdre un oeil dans ce combat, où Dieu se déclarait pour l'innocence, la justice l'emporta sur la tendresse dans le coeur de tous les témoins de cette mauvaise action, accourus aux clameurs des chats, des tantes et du petit cruel, qui révoltait la rue et la cour, tout sanglant qu'il était.

Je dois me hâter de vous dire que les trois victimes furent sauvées, rendues à leur mère, qui les sécha en peu de temps par l'ardeur de ses baisers et de ses caresses. Ils devinrent beaux comme Griffa, et demeurèrent étroitement unis sous ce toit qui avait failli être leur tombeau. Ils gardèrent seulement une aversion profonde pour le seau d'eau de la cour, car pour eux c'était un fleuve!

On mit un mouchoir sur l'oeil d'Edouard, un bandeau qui lui allait fort mal, qui faisait rougir ses tantes et qui rappelait à tout le monde comme à lui le honteux engagement où il avait été si grièvement blessé. Il détesta depuis sincèrement cette mauvaise heure de sa vie, et il n'a jamais pu se rendre compte à lui-même de la frénésie dansante dont il avait été saisi, ni de ce goût barbare qui lui avait pris de se poser sacrificateur de chats. Il ne danse plus ainsi à contre temps; il est tellement en garde contre ses inspirations brutales, qu'il se demande toujours avant d'agir, si ses jeux ou ses actions ne seront nuisibles à personne. Il faut faire comme Edouard.




LE SOIR D'ÉTÉ

Venez, mes chers petits; venez, mes jeunes âmes;

Sur mes genoux, venez tous les deux vous asseoir

Au soleil qui se couche il faut dire bonsoir:

Voyez comme il est beau dans ses mourantes flammes,

Sa couronne déjà n'a plus qu'un rayon d'or:

Demain, plus radieux vous le verrez encor;

Car on ne l'a point vu s'enfuir sous un nuage:

La cigale a chanté; nous n'aurons point d'orage.

Ce soleil mûrira les fruits que vous aimez;

Il vous rendra vos jeux, vos bouquets parfumés.

Dès qu'il s'éveillera, je vous dirai moi-même:

Allons voir le soleil. Jugez si je vous aime!

Les charmantes heures viendront

Danser autour de la journée,

Et riantes s'envoleront,

Formant avec des fleurs la trame de l'année.

Et vous appellerez le faible agneau qui dort;

Pour le baigner ce soir il n'est pas assez fort;

Huit jours font tout son âge; il se soutient à peine,

Et vous le fatiguez à courir dans la plaine.

Venez, il en est temps, vous baigner au ruisseau;

Tout semble se pencher vers son cristal humide:

Le moucheron brûlant y pose un pied timide;

Et, fatigué du jour, le flexible arbrisseau

Y trace de son front la fugitive empreinte;

A ses flots attiédis confiez-vous sans crainte;

Je suis là. Voyez-vous ces poissons innocents?

Ne les effrayez pas; ils s'enfuiront d'eux-mêmes:

De vos jeunes désirs on dirait les emblèmes;

Sans les troubler encore ils glissent sur vos sens.

Saluez, mes amours, cette vieille bergère:

Son sourire aux enfants donne une nuit légère.

Quoi! vous voulez courir, pauvres petits mouillés?

Ce papillon tardif, que la fraîcheur attire,

Baise dans vos cheveux les lilas effeuillés,

Et, tout en vous bravant, je crois l'entendre rire.

C'est assez le poursuivre et lui jeter des fleurs,

Enfants; vos cris de joie éveillent la colombe:

Un roseau qui s'incline, une feuille qui tombe,

Rompt le charme léger qui suspend les douleurs.

Écoutez dans son nid s'agiter l'hirondelle:

Tout lui semble un danger; car elle a des petits.

Peut-être elle a rêvé qu'ils étaient tous partis;

La voilà qui se calme; elle les sent près d'elle!

Mais la lune se lève, et pâlit mes crayons:

Ne bravez pas dans l'eau ses humides rayons;

Les pavots vont pleuvoir sur sa lente carrière.

Au ciel, qui donne tout, offrez votre prière;

Elle est pure est charmante, et vous la dites bien.

La voix et faible encore; mais c'est Dieu qui l'écoute!

Un faible accent vers lui sait trouver une route;

Il entend un soupir; il ne dédaigne rien.

Et maintenant dormez. Leurs mains entrelacées

Semblent lier encor leurs naïves pensées.

Hélas! ces coeurs aimants qu'elles viennent d'unir,

Ne les séparez pas, mon Dieu, dans l'avenir!

Ils dorment. Qu'ils sont beaux! Que leur mère est heureuse!

Dieu n'a pas oublié ma plainte douloureuse;

Sa pitié m'écouta.. Tout ce que j'ai perdu,

Sa pitié, je le sens, me l'a presque rendu!

Sommeil! ange invisible, aux ailes caressantes,

Verse sur mes enfants tes fleurs assoupissantes;

Que ton baiser de miel enveloppe leurs yeux;

Que ton vague miroir réfléchisse leurs jeux;

Au pied de ce berceau, que mon amour balance,

Fais asseoir avec toi l'immobile silence.

Ma prière est sans voix; mais elle brûle encor.

Dieu! bénissez ma nuit; Dieu! gardez mon trésor!




LES MAINS BLANCHES.

Adrien était un enfant soigneux. Il tenait ses habits en ordre, il avait une brosse pour les brosser lui-même. Aussi, tout le monde lui disait souvent—Adrien, tu as donc un habit neuf! sa mère l'aimait, elle en était fière: car un enfant qui aime la propreté est un bien bel enfant! Il ne courait point exprès dans la boue. Personne ne se rappelle avoir jamais vu une tache sur les vêtements ou sur les mains d'Adrien qui avait alors quatre ans. Donc sa mère avait un plaisir infini quand il les passait à son cou, dans un transport caressant. Le plus beau collier d'or lui eût semblé moins précieux que les petites mains toujours blanches et bien lavés d'Adrien!

La propreté est la parure de tous les âges.




LES DEUX ABEILLES.

Au fond d'une vallée où s'éveillaient les fleurs,

On vit légèrement descendre deux abeilles;

Elles cherchaient des yeux ces fleurs, tendres merveilles,

Où l'aurore en passant avait laissé des pleurs.

L'herbe brillait de perles arrosée;

L'horizon bleu, les gouttes de rosée,

Sur la colline une ardente clarté,

Tout annonçait un jour brûlant d'été;

Tout l'attestait; car un jardin rustique

Répandait à l'entour des deux errantes soeurs

De frais parfums, d'attrayantes douceurs,

Et d'un souffle embaumé la langueur sympathique.

Toutes deux ont franchi l'enclos vert du jardin:

«Voyez! dit la plus vive,» elle était frêle et blonde:

«Voyez que de trésors! ce n'est rien que jasmin,

Lilas, roses, et je crois toutes les fleurs du monde.»

Cette folle suivait son volage désir,

Aux suaves bouquets se suspendait à peine,

Prodiguant ses baisers jusqu'à manquer d'haleine.

Disant: «Demain le miel, aujourd'hui le plaisir!»

L'autre, plus posément, savourait les délices

Du banquet préparé pour les filles de l'air,

Et, prévoyante aux besoins de l'hiver,

Pour la ruche épuisée en gardait les prémices.

Leurs ailes en tremblaient. Mais un globe fatal,

Suspendu dans les fleurs de la méridienne,

Semble de l'ambroisie offrir le doux régal

A la jeune épicurienne.

Sous ce cristal frappé de tous les feux du ciel,

S'échauffe et fermente le miel;

Innocente liqueur pour l'homme préparée,

Mais qui donne la mort à la mouche dorée;

Sa force s'y consume, et sa raison s'y perd.

L'abîme transparent par malheur est ouvert;

L'imprudente n'y voit qu'un don de la fortune;

Sa soeur, qui l'en détourne, est presqu'une importune,

Et, malgré ses conseils, elle court s'y plonger:

Quand on veut le bonheur, en voit-on le danger!

«Par quel charme imposteur vous êtes asservie,

Dit l'autre en soupirant; vous me faites pitié:

Quittez ce doux breuvage, au nom de l'amitié,

Peut-être, hélas! au nom de votre vie!

Vous ne m'écoutez pas. Je reviendrai ce soir;

O ma soeur! le travail est utile à notre âge.

Puissé-je ne pas voir bientôt, chère volage,

Ce que je tremble de prévoir.»

Elle retourne aux fleurs avec inquiétude.

Ce beau jour lui paraît plus lent qu'un autre jour;

Tout suc lui semble amer, et sa sollicitude

Implore, et croit du soir avancer le retour.

Enfin à l'horizon le soleil va s'éteindre;

Elle vole à sa soeur, et, tout près de l'atteindre,

L'appelle en la grondant d'un ton craintif et doux:

«Allons, il se fait tard; me voici, venez-vous?»

«—Il n'est plus temps, ma soeur, je suis trop accablée;

Je ne puis me sauver de ce lieu.

Je vous regarde encor; mais ma vue est troublée;

Mon corps brûle et languit; venez me dire adieu,

Je ne puis me mouvoir. Un grand feu me dévore:

Mes ailes, je le sens, ne peuvent m'emporter;

Voyez comme je suis! mais soyez bonne encore;

Si mon crime ( il est grand!) ne peut se racheter,

Ne me haïssez pas, je n'étais pas méchante:

La volupté trompeuse égarait ma raison;

Ce breuvage mortel dont l'ardeur nous enchante:

Que je l'aimais, ma soeur, et c'était un poison!

Je me repens, et je succombe:

Sous une fleur creusez ma tombe.

Adieu! Pourquoi le ciel créa-t-il le désir,

S'il a caché la mort dans le plaisir?»

Elle ne parla plus. Ses ailes s'étendirent,

Ses petits pieds doucement se raidirent;

Et sa soeur gémissante eut peine à s'envoler.

Ce tableau d'un long deuil accabla sa mémoire;

Elle fut toujours triste; et jamais, dit l'histoire,

Même au sein du travail ne put se consoler.




LE CHIEN AVOCAT

J'ai connu un garçon que je ne nommerai pas. Il se reconnaîtra peut-être en lisant son histoire; mais je ne ferai pas semblant de savoir que c'est lui, il ne faut jamais nommer ceux dont on ne peut dire du bien.

Il avait un chien, ce garçon, un bon chien, qui ne sautait pas sur le monde, qui ne montrait pas les dents aux enfants ou aux pauvres, comme tant de chiens d'une mauvaise nature, et qu'il faut se garder de provoquer. Celui-là aboyait et préservait par une vigilance active, la maison de l'attaque des voleurs. Il allait avec son petit maître, dès que celui-ci appelait: Facteur! Facteur! De plus, il s'asseyait sur ces jambes de derrière, levait le menton, caressait de ses pattes libres et souples; il relevait une canne, des gants avec beaucoup de délicatesse, et faisait mille tours réjouissants qui l'auraient fait aimer de tout le monde. Et ce méchant garçon battait le pauvre Facteur! il le faisait pirouetter et hurler à vous fendre le coeur. Un jour, il alla jusqu'à suspendre une pierre à la queue du bon animal, le fouettant pour le faire courir avec ce poids douloureux qui le blessait jusqu'au sang. Aussi, Facteur, malgré sa tendresse et sa soumission, lui lançait des regards pleins de reproche et de ressentiment.

Un homme vit cette cruauté de l'enfant qu'il saisit, lui et son fouet, avec son bras vigoureux et vengeur. Il pendit la pierre aux cheveux du méchant maître de Facteur, et le fouetta pour le faire courir à son tour.

—Eh bien! monsieur le tyran, dit-il, comment vous trouvez-vous maintenant? pensez-vous qu'il soit doux d'être traité comme vous traitez votre chien?

L'enfant rêvait, mais l'ardent Facteur poussait des cris lamentables, comme s'il eût demandé la grâce de son maître. Il y avait même une grosse larme dans ses yeux, et ses deux pattes levées s'agitaient en tous sens devant l'homme comme deux bras d'avocat.

—Si votre chien ne plaidait pas avec tant d'éloquence pour vous, dit l'homme, je vous ferais courir ainsi par la ville. Aimez-le donc bien, car c'est lui qui vous délivre! et il retira la pierre des cheveux douloureux de l'enfant.

Monsieur! dit celui-ci, touché de repentir et caressant son chien, qui le regardait avec tendresse, prenez Facteur avec vous; je l'ai rendu trop malheureux pour oser encore être son maître.

—Eh! bien gardez-le, dit l'homme, pour réparer votre dureté envers lui. Vous voyez bien qu'il vous aime encore, et que vous seul pouvez le consoler du mal que vous lui avez fait.

—Je crois qu'il ne voudra plus me suivre, repartit le garçon humilié.

—Marchez devant lui, et moi, je vais l'appeler pour l'éprouver encore.

—L'enfant s'éloigna, plein d'anxiété, tandis que le passant invitait Facteur à le suivre.

Oh! Facteur avait bien autre chose à faire!

—Me voilà, sembla-t-il dire à son maître, en sautant d'un bond jusque sur sa poitrine.

—Tu fais bien! Facteur, répondit son jeune maître, qui pleura cette fois de tendresse, et qui l'emporta comme un ami dans ses bras.

N'émoussez pas le remords; il ressemble à une lancette qui blesse pour guérir.




LE PETIT OISELEUR.

LA MÈRE.

Vous voilà bien riant, mon amour! quelle joie!

Comme un petit chasseur, traînez-vous quelque proie?

Sous ce fragile osier cachez-vous un trésor?

L'ENFANT.

C'est un oiseau du ciel; il a des plumes d'or.

Il reposait son vol au bord de la fontaine;

J'ai retenu long-temps mes pas et mon haleine:

Quand il a secoué son plumage plein d'eau,

J'ai saisi ses ailes mouillées,

Et le voilà, blotti dans les fleurs effeuillées.

Regardez qu'il est bien, ma mère, et qu'il est beau!

LA MÈRE.

Oui, je l'entends gémir.

L'ENFANT.

Non, mère, c'est qu'il chante.

LA MÈRE.

Vous croyez, mon amour? Sa chanson est touchante.

L'ENFANT.

Je crois qu'il est content puisqu'il est dans les fleurs;

Il les aime. Son nid est sous l'amandier rose,

Cet arbre au fruit de lait que la fontaine arrose;

C'est là qu'il dérobait ses brillantes couleurs.

LA MÈRE.

Y demeurait-il seul?

L'ENFANT.

Ses enfants sont au gîte:

C'était pour les revoir qu'il se baignait si vite.

Mais je n'ai point de peur, ils ne sauraient bouger;

Ils n'ont pas une plume et n'ont rien à manger.

LA MÈRE.

Que vont-ils devenir?

L'ENFANT.

J'agrandirai la cage;

J'en ferai dans l'hiver un semblant de bocage;

Et j'aurai mille oiseaux qui chanteront toujours.

Que de musiciens pour amuser mes jours!

Quel bonheur de nourrir tant de joyeux esclaves!

A peine ils sentiront leurs légères entraves.

O ma mère, j'y cours.

LA MÈRE.

Arrêtez... il fait nuit;

Quelque chose de triste entoure ce réduit;

Restez! de noirs soldats les farouches cohortes

Au coucher du soleil ont assailli nos portes.

Ne vous éloignez pas, ne quittez plus mon sein;

De vous saisir peut-être ils avaient le dessein.

L'ENFANT.

Des soldats? et beaucoup, ma mère? et pour me prendre?

LA MÈRE.

Vous, charme de ma vie, et pour ne plus vous rendre.

L'ENFANT.

Que feront-ils de moi?

LA MÈRE.

Qui le sait? un captif,

Un orphelin, peut-être; un prisonnier plaintif.

L'ENFANT.

Sauvez-moi!

LA MÈRE.

Priez Dieu, c'est en lui que j'espère,

Loin de nous les cruels emmènent votre père,

Ce père, si content quand ils vous embrassait,

Ce gardien de vos jours et qui les nourrissait.

L'ENFANT.

Mon père prisonnier!

LA MÈRE.

C'est le roi qui l'ordonne.

L'ENFANT.

Qu'est-ce qu'un roi?

LA MÈRE.

Puissant par l'amour ou l'effroi,

Un maître s'il punit, presque un dieu s'il pardonne.

L'ENFANT.

Ah! laissez-moi sortir: je veux parler au roi,

Mon père va mourir!

LA MÈRE.

Eh quoi! si jeune encore,

Savez-vous si l'on meurt loin de ceux qu'on adore?

Qu'arraché de son toit votre appui va souffrir?

Que sans la liberté l'on n'a plus qu'à mourir?

Savez-vous qu'en prison la vie est bien amère?

L'ENFANT.

Oui, nous mourrons sans vous, et vous mourrez, ma mère.

Mais ce roi si méchant, qui l'a mis en courroux?

LA MÈRE.

Le roi n'est ni méchant ni cruel plus que vous,

Mon fils. Las de ses jeux, il vient troubler les nôtres;

Libre, il a des captifs: n'avez-vous pas les vôtres?

Dans une chambre étroite il vous renfermera.

Mais vous serez content, car il vous nourrira,

Pourquoi de vos sanglots déchirez-vous mon âme?

Est-ce à vous, cher coupable, à murmurer le blâme?

Nous sommes des oiseaux dans ses cages plongés.

Pourquoi de son plaisir serions-nous affligés,

Si, dans ses jeux de roi qu'on a faits légitimes,

De lumière et d'air pur il prive ses victimes?

Où courez-vous?

L'ENFANT.

De l'air! de l'air au prisonnier!

Qu'il respire, ma mère, et qu'il vole, et qu'il vive!

Oiseau! des malheureux que n'es-tu le dernier!

Je ne veux point d'esclave.

LA MÈRE.

O clémence naïve!

Embrassez-moi, mon fils, vous m'arrachez des pleurs:

Soyez libre vous-même, et calmez vos douleurs.

Quoi! jusque dans mes bras votre frayeur palpite!...

Ah! le coeur de l'oiseau palpitait-il moins vite,

Quand votre instinct cruel empêcha son essor!

Enfant, sans vos chagrins quel eût été son sort?

Vous ravissiez l'époux à l'épouse éperdue;

Elle eût traîné sa plainte, et Dieu l'eût entendue!

Et les petits tout nus, glacés dans votre main,

Auraient péri de froid, de langueur et de faim.

L'ENFANT.

Ah! je n'y songeais pas!

LA MÈRE.

Maintenant tout respire;

Tout se calme et s'endort.

L'ENFANT.

Et mon père?

LA MÈRE.

Il soupire,

Comme l'oiseau du ciel un moment arrêté;

Mais Dieu, qui voit partout, veille à sa liberté.

L'ENFANT.

Le roi le voudra-t-il? nous rendra-t-il mon père?

LA MÈRE.

Oui, mon fils, oui, mon bien, maintenant je l'espère;

Oui, s'il a des enfants comme les miens chéris,

Des jeunes suppliants il accueille les cris.

Un père a dans le coeur je ne sais quoi de tendre;

Toutes les voix d'enfant savent s'y faire entendre.

L'ENFANT.

Je veux le voir. Venez! conduisez-moi vers lui.

LA MÈRE.

Oui, mon amour, demain.

L'ENFANT.

Pas demain, aujourd'hui.

LA MÈRE.

Quoi! votre chère enfance à cette heure exposée?...

L'ENFANT.

Je veux montrer au roi cette cage brisée;

Je lui dirai: Voyez! je fus méchant aussi;

Je ne le suis plus, Dieu merci!

Au captif innocent j'ai rendu la volée,

Et sa famille consolée

A cette heure est au nid plus heureuse que nous!

Le même arbre en ses fleurs les couvre et les rassemble:

Chaque famille ainsi doit s'endormir ensemble,

Et nous venons chercher mon père à vos genoux.

LA MÈRE.

Écoutez!... par l'appui de quelque voix divine,

On dirait que le roi vous plaint et vous devine;

Car voici votre père, il a tout entendu:

Enfant, Dieu vous absout, puisqu'il nous est rendu.




L'ENFANT QUESTIONNEUR.

—Pourquoi le soleil ne vient-il pas la nuit? disait Hippolyte à quatre ans; on verrait bien plus clair!

—Parce que c'est le soleil, lui répondit sa mère, qui fait le jour. S'il venait la nuit il n'y aurait plus de nuit.

Hippolyte fut très étonné.

Il passait alors par une vaste rue. La lune se levait large, ronge et majestueuse. En voilà une toute neuve! dit-il. Où est celle d'hier;

—C'est la même toujours, mais mieux frappée par le soleil que nous ne voyons plus, et dont elle n'est que le reflet.

—Qui donc a fait ces deux belles choses si gaies?

—Dieu! qui t'a fait une mère et qui m'a fait un fils.

—Que je l'aime! et dis-moi, reprit-il après un long silence: n'y a-t-il qu'un bon Dieu dans le ciel?

—Un seul.

—Ah! tant mieux! répliqua-t-il avec joie.

—Pourquoi tant mieux?

—C'est que, s'ils étaient deux, ils se battraient, et alors.... ce ne seraient plus le bon Dieu.

Il ne faut pas juger Dieu d'après les hommes.




LA SOURIS CHEZ UN JUGE

Tremblante, prise au piége et respirant à peine,

Sortie imprudemment du maternel séjour,

Rêvant sa dernière heure au seul bruit de sa chaîne,

Une jeune souris voyait tomber le jour.

Dans le grillage étroit qui la tient prisonnière,

A passé d'un flambeau l'éclatante lumière;

Elle tressaille, écoute: un silence de paix

Succède au mouvement qui la glaçait de crainte;

Et d'un vieux mur caché sous des lambris épais

On entend murmurer cette humble et douce plainte:

Dans ta belle maison, toi, qui rentres content,

Quand je me sens mourir de la mort qui m'attend,

Redoutable ennemi de tout ce qui respire,

Oh! n'étends pas sur moi ton oppressif empire!

Laisse ton coeur s'ouvrir au cri du malheureux:

Hélas! est-on moins grand pour être généreux?

Laisse-moi boire encor l'air, la douce rosée,

Ce bienfait de la nuit, ce céleste présent,

Dont par un souffle humide et bienfaisant,

Chaque matin la terre est arrosée.

Juge, soit juste et rends-moi mes trésors,

Un ciel à contempler, ma liberté native:

Dieu me fit de la vie un plaisir sans remords,

Toi, tu la rends sombre et captive.

«Je suis une souris née au dernier printemps;

L'été commence. Hélas! c'est vivre peu de temps!

Viens voir, je porte encor la robe de l'enfance.

Le blé nouveau, le riz friand, les noix,

Disait ma mère, allaient avant deux mois

Enrichir mon adolescence.

Peu m'est assez pourtant; facile à me nourrir,

Je ne suis pas gourmande et tout sert au ménage;

Un grain d'orge suffit aux souris de mon âge,

Pour les empêcher de mourir.

«Ne me fais pas mourir! suis l'exemple d'un sage:

Les souris sans danger visitaient son séjour;

Car ce sage disait: «De nos âmes un jour

Le sein des animaux peut-être est le passage.

Tout est possible à Dieu, l'impossible est son bien;

Si par lui l'homme est tout, par lui l'homme n'est rien.

Grâce donc! criait-il aux hommes en colère,

Muets pour la clémence et sourds à la prière;

Grâce! oubliez un peu les mots: glaive, trépas;

Régnez sur le plus faible et ne le tuez pas!

La colombe au coeur tendre, à la plume argentée,

Peut-être est une amante aux forêts arrêtée

Par le doux souvenir d'un amour malheureux;

On croit le deviner à son chant douloureux.

Qui sait si la souris n'est pas la jeune fille

Frappée en folâtrant au sein de sa famille,

Et qui tombe immobile en courant dans les fleurs:

Car, pour un peu de miel, que d'absinthe et de pleurs!»

«Si le sage a dit vrai, tremble d'être inflexible,

Tremble de tourmenter l'âme errante et sensible

D'une soeur qui t'aima, d'une jeune beauté

Qui se plaisait, enfant, sur ton sein agité.

«Enfin, si ma part de la vie

N'est que le rayon passager

Du jour que mon cachot me dérobe et m'envie,

Ce don si fugitif, daigne le ménager!

Vivre, c'est vivre enfin, et le néant m'alarme;

Cette crainte au méchant coûte au moins une larme;

Juge de son horreur pour un coeur tout amour,

Et si loin de la nuit ne m'éteins pas le jour!

Faut-il te dire tout? je veux devenir mère.

Laisse-moi donc revoir, dans ma douleur amère,

Un ami de mon âge, imprudent comme moi,

Qui pour me délivrer s'élancerait vers toi.

S'il avait de mon sort la triste confidence,

Je lui dirais en vain: Sauvez-vous! il viendrait:

L'amour au désespoir connaît-il la prudence?

Il rongerait mes fers, ou bien il me suivrait.

«J'ai dit l'amour: tu le connais peut-être?

Béni soit Dieu! car l'amour est humain.

Oui, je retrouverai la moitié de mon être,

Et je serai libre demain!

Oui, tu sais que l'amour console la nature,

Qu'il jette au prisonnier des rêves gracieux,

Qu'il souffle à son oreille un chant délicieux,

Et que même au coupable il sauve la torture.

Et je suis à genoux... et je tremble... et j'attends...

Homme, pour te fléchir qu'il faut parler long-temps!

«Un jour, que cet aveu m'en obtienne la grâce,

J'avais salué l'aube et ton premier repas,

Lorsqu'un bruit, plus léger que le bruit de mes pas,

M'avertit qu'en secret quelqu'un cherchait ta trace.

Ta voix devint alors plus douce de moitié.

Celle qui répondait me parut suppliante,

Et, si je ne m'abuse, à la tendre pitié

Tu donnas plus d'une heure, ou l'heure était bien lente!

Le bruit cessa, j'entrai; les débris d'un festin

M'invitaient à la table enfin abandonnée;

Et sur ma vie un moment fortunée

Je vis pleuvoir les bienfaits du destin.

Dans ces lieux trop aimés qu'à présent je déteste,

J'ai vu, j'ai respecté la boucle de cheveux

Tombés d'un front charmant pour enchaîner tes voeux;

Ils ne sont pas les tiens, leur couleur me l'atteste.

Ces liens souples et dorés,

Ces doux aveux, ces feuillets roses,

Les rubans embaumés dont ces lettres sont closes,

N'ont pas séduit mes sens de langueur enivrés.

J'ai respiré de loin la cire parfumée

Qui scella, j'en suis sûre, un secret qui t'est cher:

Le hasard me l'apprit sans m'en être informée;

Je courais, j'étais libre... hélas! c'était hier!

«Tu sommeillais peut-être, et plus vive que sage,

Au pied de ces rideaux, que je baigne de pleurs,

J'aperçus, ne crains pas que je le dise ailleurs,

Un soulier trop petit pour être à ton usage:

Je m'y blottis joyeuse et je le fis courir;

Je traînais en riant cette maison mobile,

Dont les dehors ornés par quelque main habile

M'enflaient d'un peu d'orgueil, et l'orgueil fait mourir;

Car, depuis ce moment, éveillé par la haine,

Tu m'élevas dans l'ombre une affreuse prison.

Innocente souris, pour m'écraser sans peine,

Un homme est descendu jusqu'à la trahison!

Non! ne m'écrase pas! et si ma peur te touche,

Que l'accent du pardon s'échappe de ta bouche!

Il est dieu, leur dirai—je, il m'a donné des jours!

Ton toit sera béni, ton nom vivra toujours,

Et toujours de beaux yeux aimeront à le lire.

«Et si jamais ton coeur, brûlé d'un saint délire,

A langui pour la liberté,

Qu'elle se donne à toi dans toute sa beauté!

Que sur ta sereine carrière

Elle épanche à flots purs sa tranquille lumière:

Qu'elle trace à la vie un facile sentier,

Et le sème de fleurs un siècle tout entier!»

Elle se tut. Le juge alors: «Hé! vite!

Elle est au piège, hâtez-vous d'accourir;

Étouffez-la, cette pauvre petite;

Je n'aime pas à voir souffrir.»




L'AUMÔNE

Il avait plu tout le jour; c'était l'été, c'était dimanche. Le balcon était mouillé, la rue humide, et la promenade interdite aux enfants.

Tout à coup Hyacinthe, la soeur de Prosper, qui regardait au travers les carreaux d'une large fenêtre, vit se découper au fond d'un nuage blanc, le premier cercle d'or d'une lune nouvelle.

—Oh! vois, maman, que la lune est fine! dit-elle.

—On pourrait sortir à présent, répartit son frère, car la rue est balayée comme le ciel.

—Il est trop tard, dit leur mère.

—Quoi, maman, pas même jusqu'au pâtissier.

—En effet, répondit-elle en souriant, il est là en face comme pour vous tendre les bras. Tiens, Prosper, va lui offrir cette jolie pièce blanche, nous verrons ce qu'elle te vaudra.

—Une brioche! maman, grosse comme ma tête, tu vas voir! il franchit en trois bonds l'escalier, et sa soeur le suivit joyeuse et timide jusqu'à la porte où elle attendit comme on attend son frère, et une brioche.

Prosper revint mais les mains vides. Tandis qu'Hyacinthe et lui chuchotaient au pied de l'escalier, n'osant plus remonter sans leur souper friand, la mère se penchait sur la rampe, prête à serrer son fils dans ses bras, car voici ce qu'elle avait vu de la grande fenêtre du balcon:

Un pauvre barrait la porte du pâtissier. Il était vieux, il était nègre, et il était aveugle! pitié! toutes les brioches disparurent de la terre aux yeux de l'enfant charitable. Il s'arrêta devant lui, en tournant le dos au riant pâtissier et voyant que le nègre n'avait plus de regard pour comprendre le sien, il lui glissa doucement sa petite pièce dans la main et lui dit:

—Prends garde! monsieur le pauvre! cette pièce vaut une brioche de quinze sous. Le nègre tressaillit de joie.

La mère de Prosper sentit ses yeux se mouiller. Mais à la réflexion, elle ne parut pas se douter de l'embarras des enfants et ne parla plus de la brioche. Ils se couchèrent bien soulagés tous deux, s'étant contentés pour leur souper dans l'ombre, d'un morceau de pain, toujours de bon goût, quand il est assaisonné par une bonne action.

Le lendemain, un beau soleil revint consoler le balcon et toute la ville, comme pour une fête.

Le déjeuner s'apprête, on entoure la table, tout devait être bon, on avait faim. Mais, ô redoublement de surprise et d'appétit! deux énormes brioches apparaissent comme si elles perçaient ce ciel, et qu'elles fussent arrivées toutes chaudes sous une aile d'ange. C'était un très-beau spectacle!

—Oh! d'où viennent-elles! d'où viennent-elles, maman!

—C'est le bon nègre qui te les envoie, mon fils, dit la mère en souriant. Tu ne sais pas comme le pauvre est riche dans ses prières; car, c'est Dieu qui se charge de payer pour lui.




LE PETIT AMBITIEUX

Un enfant avait mis les bottes de son père.

Il se croyait plus grand; mais il fallait marcher:

Dans sa jeune espérance, il arpentait la terre;

Ses bottes ne pouvaient pourtant l'en détacher.

Il traîne avec ardeur l'entrave qu'il adore;

Il veut courir... il rampe; il rit, il rampe encore

Au collège, avant l'heure, il arrive enchanté,

Et parmi les plus grands se range avec fierté.

Son père l'a suivi.... Dieu! faites-le sourire!

Il cherche, il voit l'enfant; il a dit: «Levez-vous!»

L'ambitieux chancelle et fléchit les genoux.

Mais son père commande: un père, il faut souscrire;

Il se lève. «Courez, dit son juge, courez!

D'un pas ferme et hardi devancez votre père,

Que votre course soit prospère:

Si vous tombez, malheur!... vous vous débotterez.»

Se débotter!... jamais; plutôt périr en route.

L'enfant frissonne, il pleure à la voix qu'il redoute;

Mais il pleure immobile, et sur son front charmant

Se peignent la douleur et le ressentiment.

L'école curieuse avait fermé son livre,

Le maître préparait le sermon détesté;

Et l'enfant!... Il songeait à la mort qui délivre,

Car du crime, à ses pieds, tout le poids est resté.

«Pour la dernière fois, courez, je vous l'ordonne!

Si vous me devancez, mon fils, je vous pardonne.»

Et l'enfant éperdu, plein d'âme et plein d'effroi.

S'élance sur son père, et dit: «Emportez-moi!»

Et ce père accueillit sa rougeur et ses larmes;

Sur son coeur qui battait de colère.... ou d'amour,

Il emporta son fils, tout botté, sous les armes.

«Conserve-les, dit-il; tu marcheras un jour!»




LE SONNEUR AUX PORTES.

En cinq parties.



LE PORTIER.

Je ne crois pas qu'il y ait encore des enfants aussi hardis qu'Antony. Il était la terreur des portiers, le lutin des servantes, le cauchemar du rentier paisible. Ce petit voltigeur des rues passait pour le chef d'une bande audacieuse, qu'il entraînait tous les soirs en sortant de l'école. Il se mettait à leur tête en vrai cosaque à pied, et pas un marteau, pas une sonnette, n'échappaient à leur investigation.

—Pan! pan! pour le marteau. Ils fuyaient, se plaçaient en embuscade à quelques maisons plus loin, et la porte s'ouvrait à la grande joie de leurs cours pleins de malice.

Le portier, ne voyant entrer personne, venait lui-même regarder pourquoi? et plongeant en vain ses yeux dans la rue silencieuse, s'en retournait mécontent. Après un temps raisonnable, quand on le supposait rentré dans sa loge et paisiblement assis, on retournait, haletant, avec des rires étouffés où il y avait tout un poème de brigandage.

—Pan! pan! recommençait le marteau et les six oiseaux de nuit s'envolaient encore, rasant la terre, dans la cachette qu'ils s'étaient choisie. Force était au portier de tirer le cordon, ne fût-ce que pour lui-même; car il brûlait ce portier dérangé d'attraper et de tordre le bras insolent qui l'arrachait ainsi à son repos. C'était en vain!

Alors, l'amour même du repos l'arrachait violemment à son immobilité de profession. Il se faisait petit, et s'avançait finement le long du rang où il supposait les malfaiteurs cachés.

Mais si, par hasard, il s'approchait de leur retraite, ils en sortaient tout à coup avec une agilité si prodigieuse qu'ils glissaient entre ses bras étendus, faisant voler en l'air son bonnet et poussant des cris aussi aigus que ceux de l'orfraie ou de la chouette. Ils étendaient même l'insulte jusqu'à frapper du marteau chacun un coup; ce qui en faisait six, en jetant pour adieu au portier gonflé de colère dans la rue:

—Ouvrez, portier! ouvrez donc; portier! le cordon, s'il vous plaît!

La nuit entière ne consolait pas le portier de ces allées et venues forcées, et sans vengeance. Le portier aime la vengeance.



LE CORDONNIER.

Antony donc répandant partout ses ravages était toujours pendu à une sonnette et tandis que les autres fuyaient, lui souvent mettait dans sa tête d'affronter le danger.

Une servante accourait, effrayée du terrible ébranlement de la sonnette, et avant même qu'elle ouvrît la bouche, Antony, levant un nez insolent, demandait:

—Est-ce ici le médecin de mon oncle?

—Qu'est-ce que c'est que le médecin de votre oncle? demandait la servante irritée.

—C'est... je ne me souviens pas de son nom; mais c'est un bien bon médecin!»

—Ce n'est pas ici. Et une autre fois ne sonnez pas si fort.»

Une ardeur nouvelle emportait la troupe errante. Pas un ne songeait que c'est lâche d'insulter dans l'ombre.

Antony, bien élevé d'ailleurs, et qui coûtait à son père une grosse somme pour devenir savant, imitait effrontément le gamin dont la joie est immense quand il fait tressaillir l'humble cordonnier, en plongeant tout à coup sa tête dans l'échoppe par un carreau de papier qu'il enfonce, et en demandant froidement: «Quelle heure est-il?»

Il trouvait aussi une émotion délectable à lancer l'épouvante chez le tranquille artisan, travaillant à la lampe. Il faisait ruisseler sur les vitres sonores des poignées de pois secs qui descendaient comme la foudre en éclat dans le silence laborieux du chaussetier solitaire.



LE PIED DE BICHE.

Ce soir-là, toute la meute sonnante se précipita sur le pied de biche d'un rentier. La première attaque fut inutile, car le maître était absent, et ses deux domestiques, se chauffant au feu de leur maître, faisaient la sourde oreille pour ne pas se déranger.

Antony, très irrité de cette lenteur, s'écria: «Se moque-t-on de moi?» et se pendit s'en façon de tout le poids de son corps au pied de biche, qui lui resta dans les mains. Un cri de victoire, très-flatteur pour Antony, fut poussé jusqu'aux toits par sa troupe légère, ce qui l'empêcha d'entendre le bruit de la porte. Elle s'ouvrit d'ailleurs si vivement qu'il fut pris et entraîné dans l'allée sombre, avant qu'il pût même laisser tomber le pied de biche, témoin irrécusable de son crime. Ses compagnons s'enfuirent épouvantés et dirent entre eux:

—Aussi pourquoi nous entraîne-t-il à cela? je n'y songerai pas sans lui.—Ni moi!—Ni moi!—Ni moi! cinq fois répété, fut tout ce qu'ils trouvèrent pour sauver leur chef du piége qu'ils avaient évité. Seulement ils soupèrent assez mal ce soir-là, et quelques-uns rêvèrent de gendarmes.

Antony ne rêvait pas. Toute son intelligence était éveillée par l'air froid et vindicatif des deux domestiques, ses vrais maîtres alors, résolus à le lui prouver rudement. Ils avaient commencé par lui lier les bras et les jambes, et se disposaient à le descendre à la cave; avec des menaces effrayantes. Le fier Antony ne proférait pas une parole. Il regardait ses liens qui lui faisaient mal; il songeait à l'inquiétude de sa mère.... C'était affreux! mais il ne pleurait pas; son coeur seul disait au fond de lui-même:—Ma mère!

—Finissons, dit l'un des hommes, en faisant signe à l'autre d'emporter avec lui l'enfant, qui devint très-pâle, mais qui ne baissa point ses yeux pleins de courage.

A l'instant même on frappa trois coups à la porte de la rue.

—C'est monsieur, dirent-ils, car il sonne ordinairement trois fois. Va, petit brigand, ton affaire est faite, recommande ton âme à Dieu.

Antony crut qu'il allait voir apparaître un ogre. Le frisson passa dans ses cheveux et les fit lever; mais son regard curieux ne se mouilla pas d'une larme.

Le bon rentier, qui était le moins ogre des hommes, ne trouva pas dans la perle de son pied de biche une raison suffisante pour mettre en cave et faire mourir peut-être l'imprudent qu'on avait garrotté: mais après avoir un peu rêvé sur le trouble que de telles actions répandent souvent dans des maisons paisibles, il ordonna qu'on fît avancer une voiture à l'heure.

Pendant qu'on la cherchait, Antony dans l'immobilité où le retenaient ses liens, eut les yeux bandés sans qu'il lui fût fait le moindre mal.

Alors la voiture arriva. Le rentier, touché du jeune âge et du maintien sans bassesse du prisonnier, l'interrogea en grossissant sa voix.

—Votre nom? celui de votre famille? votre demeure?»

Antony répondit à tout d'un accent ému, mais précis.

—Avez-vous du courage?»

—Pour entreprendre, oui. Pour souffrir, je l'ignore; c'est la première fois que je me suis laissé prendre.»

—Jurez-vous de ne pas vous révolter si l'on vous ôte ces cordes?

—Je le jure.»

—Ôtez les cordes au prisonnier.» Les cordes tombèrent.

—Vous allez subir de grandes épreuves, continua le Juge. Les soutiendrez-vous sans lâcheté?»

—Je tâcherai, répliqua simplement le petit sonneur aux portes.

Son juge le plaça derrière lui et détachant de la tapisserie couverte de dessins une tête de mort au crayon noir qui n'y tenait que par quatre épingles, il l'a mis devant l'enfant en lui disant: ne bougez pas!»

Vous, dit-il aux domestiques, soulevez son bandeau.

Antony trouva sans tressaillir cette tête sous ses regards délivrés.

—Qu'en dites-vous?»

—Que c'est mal dessiné, répondit l'écolier qui l'avait parcourue avec attention. Le bandeau retomba sur ses yeux.

—Aviez-vous des complices?»

—J'avais des amis, monsieur. Ils se sont sauvés.... ils ont bien fait.»

—Avez-vous une mère?»

Antony ne répondit pas; mais il baissa la tête, et le rentier qui l'examinait attentivement, vit ruisseler deux larmes sous son bandeau.

—Partons! dit le juge, d'un ton grave et irrévocable.



VOYAGE D'ANTONY.

Antony fut conduit en silence dans la voiture qui roula si long-temps qu'il se crut à vingt lieues de Paris. Elle s'arrêta tout à coup sur un cri des deux guides, au milieu desquels Antony était assis.

Le rentier qui n'avait pas soufflé le mot, durant le voyage, descendit le premier, et s'éloigna. Antony fut déposé au milieu d'une rue déserte et noire qu'il prit pour une ville de province inconnue. Quand son bandeau fut ôté et qu'il put porter autour de lui ses yeux pleins de terreur:

—Tirez-vous de là, dirent brièvement ses guides en remontant dans la voiture que l'enfant infortuné vit s'éloigner avec l'amertume profonde de son abandon.

Il resta quelques instants sans se mouvoir et sans rappeler ses idées. Cette ville nouvelle lui paraissait pleine de consternation, il trouvait les maisons d'un aspect bizarre, bâties tout autrement qu'à Paris, son cher Paris! et présentement qu'il était pour lui d'une impérieuse nécessité de sonner à quelque porte pour s'y sauver d'une nuit d'épouvante et d'insomnie, à jeun; tous les pieds de biches du monde n'auraient pu réveiller sa passion éteinte pour le son des marteaux et des cloches. Il s'assit en soupirant au coin d'une borne sur un banc étroit qu'il accepta pour son lit, non sans murmurer tristement:

Ah! que les bancs son bien plus larges à Paris! et les réverbères, Dieu! qu'ils sont ternes dans cette petite ville... Est-ce qu'il y a des hommes dans ces habitations froides?... Maman! maman! que la vôtre à cette heure était chaude et gaie pour moi! Si vous saviez où je suis, vous prendriez la poste pour venir me sauver. Il est vrai que je suis bien coupable; mais vous n'auriez pas le courage, vous, de me punir si cruellement, car je suis perdu enfin!...» Et les larmes d'Antony coulèrent par flots sur le banc de pierre.

Mon Dieu! s'écria-t-il, est-ce que vous m'avez abandonné!»



LE BON ANGE.

Laissez venir à moi les petits enfants.

Un homme s'approcha tout à coup dans l'ombre. Antony se leva.

—N'ayez pas peur, mon petit ami, dit cet homme.—Je n'ai pas peur, répondit l'enfant; quel mal voudriez-vous me faire?

—Aucun, si vous me dites la vérité: Qui êtes-vous?

—Je suis un enfant perdu.

—D'où venez-vous?

—De Paris, où je suis né. Je n'ai pas d'argent, je ne connais pas cette ville où l'on m'a laissé seul pour me punir.

—De quoi?

—De sonner aux portes avec mes amis.

—Leurs noms?

—Je ne les dirai pas.

—Le vôtre?

—Antony Derbay; mais mon père sera-t-il inquiété pour ma faute?

—Soyez tranquille, mon enfant, dit l'homme attendri, regardez-moi comme votre bon ange, et suivez-moi.... quand je saurai votre demeure, toutefois, car je suis résolu à vous rendre ce soir même à vos parens.»

Quoi, monsieur, vous feriez ce voyage! s'écria Antony, plein de reconnaissance. Il lui dit alors le nom de son père, sa demeure à Paris et se laissa conduire soumis par ce guide si différent de ceux qui l'avaient emporté du pays natal.

Après quelques détours qui ne lui semblaient que les commencements d'un voyage pénibles, l'homme qui l'avait doucement enveloppé dans son manteau s'arrêta en disant: Nous y sommes.

—Où donc, s'écria d'une voix craintive Antony, sans se reconnaître encore, et croyant rêver.

—Chez votre père, dont voici la maison. Et il frappa de manière à ce qu'on ne tarda pas à leur ouvrir.

Quelles furent la surprise, la joie et les transports d'Antony, en se retrouvant à sa porte comme par enchantement! quand il tomba dans les bras de sa mère inquiète depuis deux heures de ne pas le voir rentrer! Quand il la couvrit de ses larmes en lui racontant sa faute, qu'il lui montra son sauveur, qu'il prenait alors pour Jésus-Christ lui-même; car il avait fait un miracle!

—Oh! qui donc êtes-vous, monsieur? dit la mère, en se penchant vers l'étranger pour le bénir.

—Le rentier, madame, qui se trouvera bien heureux, s'il a corrigé l'enfant et consolé la mère.

Je dois vous avouer qu'Antony sanglota de repentir dans les bras du bon rentier, et qu'en essuyant ses yeux rouges, il s'écria tout à coup:

—Je te rendrai ton pied de biche!»

—Non, dit en souriant le rentier qui devint le meilleur ami d'Antony; je vous le donne comme un talisman pour entrer à toute heure dans ma maison.

L'objet qui nous rappelle une faute pleurée nous empêche d'y retomber.




UN PAUVRE.

Enfant! sois doux au pauvre. Il en est d'adorables;

Il en est de puissants sous leurs traits misérables:

Tel est celui qui monte attiré par ta voix,

Qui descend toujours humble et content quelquefois,

Selon nos jours à nous, vides, nourris d'attente,

Ou comblés de travail et de joie haletante.

Dieu lui fait, m'a-t-il dit, de longues nuits sans peur;

Et sous un peu de paille il a chaud dans son coeur!

Le sommeil a pour lui des ailes toutes prêtes;

C'est là qu'il illumine et qu'il donne ses fêtes;

Là, qu'un ange vient dire à ce pauvre à genoux:

«Debout! debout, mon frère! et montez avec nous!

Laissez-moi relever votre âme voyageuse;

Laver vos pieds durcis par l'argile fangeuse,

Rendre vos pas légers puisqu'ils sont sans remord,

Et délier vos bras pour les tendre à la mort!

Ayez foi dans la mort: cette cueilleuse d'ames,

Ne les moissonne pas pour en tuer les flammes;

Mais pour les délivrer de leur lourd vêtement,

Comme on ôte le sable où dort le diamant..

Dans votre épreuve solitaire,

Ne demandez pas le bonheur:

Sa semence est dans votre coeur;

Il n'éclora pas sur la terre.

Si la terre en poussait les fleurs,

Voyez qu'elles n'ont qu'une aurore,

Et qu'elles laisseraient encore

Leurs épines dans vos douleurs.

Mais ce fruit couvé par votre ame,

Naîtra plus haut mûr et vermeil,

Fait d'une impérissable flamme,

Comme un rubis sous le soleil.

Le bonheur, c'est l'amour sans larmes;

C'est la liberté sans effroi;

Sans prisons, sans haine, sans armes,

Et les mondes roulants sans roi.

Bénissez donc vos pleurs dont l'intérêt s'amasse.

Dieu compte avec la terre; où l'ombre règne, il passe!

Et l'éternité s'ouvre aux mots: PARDON! AMOUR!

«Montez!»—Et l'indigent monte à Dieu jusqu'au jour!

Quand ce beau rêve a fui, quand la faim le réveille.

S'il tombe en soupirant du ciel où l'on sommeille,

Il reprend son fardeau plus léger; lui plus fort,

Et gravit, patient, les affronts de son sort.

Ce pauvre est plus qu'un pauvre! une telle indigence,

Puisque Dieu la permet, ouvre l'intelligence:

Dieu voilé parle en lui. Souvent ses vieux lambeaux.

M'ont paru lumineux, comme si de flambeaux,

Comme si des rayons d'une auréole sainte,

Sa tête blanchissante et paisible était ceinte:

Ce pauvre est plus qu'un pauvre! enfant! sois doux pour lui.

Comme tu fus hier, s'il revient aujourd'hui.




LE PETIT MENDIANT.

Un petit pauvre suivait avec obstination un vieillard dans sa promenade, et criait:

—Monsieur! ce n'est point pour moi, monsieur! c'est pour ma pauvre mère. Ah! ma pauvre mère! si j'avais de quoi lui acheter un pain.

Le vieillard, ému de cette vive prière pour une mère, et de cette voix d'enfant qui a toujours une grande puissance sur l'homme, s'arrêta, parcourut des yeux la figure rose et (il faut le dire) un peu effrontée du jeune mendiant, qui plongeait avec des yeux avides et brillants jusqu'au fond de la bourse prête à s'ouvrir pour lui.

—Tu l'aimes donc bien ta mère?

—Oui, monsieur! dit l'enfant, en jetant les yeux çà et là d'un air distrait et insouciant.

—Où est-elle?

Elle est morte, monsieur, répondit le menteur, qui n'avait pas prévu la question.

—Elle n'a donc pas besoin de pain, dit le vieillard en refermant sa bourse, et laissant rouge et honteux l'imposteur, à qui la vérité simple eût été bien plus profitable?

Le mensonge est odieux. Il est toujours nuisible à celui qui s'abaisse par lui.




LE PETIT PEUREUX.

Quoi, Daniel, à six ans vous faites le faux brave;

Vous insultez un chien qui dort;

Vous lui tirez l'oreille, et, raillant votre esclave.

Sous ses pas endormis vous dressez une entrave!

L'esclave qui sommeille, ô Daniel, n'est pas mort;

Son reveil s'armera d'une dent meurtrière:

La preuve en a rougi votre linge en lambeaux.

Oui, vous voilà blessé, mais blessé par derrière!

Malgré la nuit, j'y vois. Sauvons-nous des flambeaux;

Sauvons-nous des témoins... Moi, je suis votre mère...

Je cacherai ta honte, enfant, dans mon amour:

Viens! j'ai pitié de toi, car la honte est amère;

Bénis Dieu: sa bonté vient d'éteindre le jour.

Personne ne t'a vu lâche et méchant... Écoute:

Pour t'appeler méchant sais-tu ce qu'il m'en coûte?

C'est ton nom pour ce soir; subis-le devant moi:

Va! personne jamais ne l'entendra que toi.

Personne ne t'a vu d'une bête innocente

Tourmenter l'indolent sommeil;

Et, pour irriter son réveil,

Lui simuler sa chaîne absente.

Cher petit fanfaron, c'est lui qui t'a fait peur.

Sa gueule était immense, ouverte à la vengeance.

Il te mangeait, Daniel, sans ma tendre indulgence,

Et tu fuyais en vain, lié par la stupeur.

Il m'a cédé sa proie, il a compris mes larmes;

Et peut-être un gâteau, que préparait ma main

Pour charmer ton loisir demain,

L'a rendu tout-à-fait clément à mes alarmes.

Je l'avais fait si beau, si grand! Ne pleure plus:

De tes habits l'eau pure effacera la tache;

Ton âge n'en a pas ou le remords s'attache!

Tout ce qui doit survivre à tes cris superflus,

Ce qu'il faut regretter par-delà ton enfance.

C'est mon sang..., oui, le mien, lâchement répandu:

Quoi! sous la dent d'un chien tu l'as déjà perdu,

Daniel, et ton pays l'attend pour sa défense!




LA JAMBE DE DAMIS1.

Note 1: (retour) Historique.

Un petit créole s'ennuyait. Le créole est terrible quand il s'ennuie, et il s'ennuie souvent.

—Maman, je veux un oeuf! dit l'enfant qui tâchait d'avoir faim.

—Il n'y en a pas, ami! dit avec regret sa mère.

—Eh bien! à cause de cela, j'en veux deux! cria-t-il en frappant des pieds.

—Son père se retourna vivement vers lui, et dit: Veux-tu un soufflet, ami!

—Je n'en veux pas? repartit l'enfant avec une contenance fière.

Eh bien! à cause de cela, j'en donne deux! dit froidement son père, en les lui donnant. Et il retourna à ses calculs.

L'enfant rugissait. Quant il crut son père assez loin, il recommença ainsi:

—Maman, je veux jeter Damis par la fenêtre. Damis était un petit nègre endormi dans un coin.

—Jetez, ami? dit la mère indolente et le regardant faire.

Damis sortit par la fenêtre, et ne se réveilla qu'à terre avec la jambe cassée.

Mais le terrible père rentra comme la foudre et saisissant son fils par les deux bras, comme un oiseau par les ailes: Va panser ton esclave! dit ce singulier philanthrope, en le lançant par le même chemin et il passa froidement auprès de sa femme évanouie. Coupable femme, en effet! la surprise et l'effroi avaient comme retenu le petit blanc dans l'air, car il tomba légèrement auprès de Damis mutilé, qu'il contempla stupide de terreur, mais sans la moindre blessure. Une négresse inondait silencieusement Damis de ses larmes.

—Jambe cassée! dit-elle enfin avec une voix de mère, en cachant sa tête sur le corps de l'enfant stoïque. Il n'avait pas poussé un cri.

Je ne veux pas que Damis ait la jambe cassée! dit d'une voix sourde le petit colon pelotonné par terre. Je ne veux pas que Damis ait la jambe cassée.

—Celle qui lui reste du moins sera libre, dit derrière lui son père, qu'un mouvement d'humanité avait fait descendre. Tu paieras l'autre quarante piastres à l'année, ajouta-t-il, en relevant le petit tyran, qui murmurait et qui sanglotait les mêmes paroles: «Je ne veux pas que Damis ait la jambe cassée!

Moi, je veux que vous partiez tous deux, séparément pour la France. Élevés de même nous verrons ce qui en adviendra!

Ce qui en advint le voici:

Damis, guéri s'appela depuis le sauveur des blancs. Le jeune planteur, sauvé de l'influence fatale d'une mère trop faible et d'un père trop violent, fut depuis estimé sous le nom d'un philanthrope que nous n'osons signaler ici; car vous n'oublierez peut-être pas qu'il avait commencé par casser la jambe de Damis.

LA MÈRE A SA FILLE.

C'est beau la vie

Belle pour toi,

De toi suivie

Toi devant moi!

C'est beau, ma fille,

Ce coin d'azur,

Qui rit et brille,

Sous ton front pur!

C'est beau ton âge,

D'ange et d'enfant,

Voile, ou nuage

Qui te défend

Des folles ames,

Qui font souffrir;

Des tristes flammes,

Qui font mourir.

Dieu fit tes charmes;

Dieu veut ton coeur;

Tes jours sans larmes,

Tes nuits sans peur:

Mon jeune lierre,

Monte après moi!

Dans ta prière,

Enferme-toi.

C'est beau, petite,

L'humble chemin,

Où je ne quitte

Jamais ta main:

Car, dans l'espace,

Aux prosternés,

Une voix passe,

Qui dit: «venez!

Tout mal sommeille

Pour ta candeur,

Tu n'as d'oreille,

Que dans ton coeur

Quel temps? quelle heure?

Tu n'en sais rien:

Mais que je pleure;

Tu l'entends bien!




LE PETIT BÈGUE.



I.

L'ÉCOLE.

Ah qu'une école laisse de souvenirs aux enfants qui s'y sont agités pour devenir des hommes! aux mères qui sont allé presser leurs cours contre ses portes fermées entre elles et leurs enfants! chers objets de nos amours pleins de sacrifices, chères abeilles de ces ruches où vous allez préparer le miel de toute votre vie, pourquoi n'y portez-vous pas les grâces innocentes du foyer, la douceur paisible de vos premiers jeux? pourquoi les aiguillons qui poussent à vos lèvres servent-ils souvent à piquer vos camarades, qui ont pleuré comme vous de cette première offrande faite à l'ordre social qui veut des hommes graves, des savants, des penseurs!... Une larme de votre mère vous en dira plus que moi, elle vous rappellera l'indulgence divine dont elle a enveloppé vos premiers cris et vous en aurez pour vos petits compagnons; vous en aurez pour tout le monde. Moi, je n'ai qu'à vous dire l'histoire du pauvre René.

René, mal vêtu, mal tourné, gauche et timide comme la misère honnête, entra, par je ne sais par quelle protection, dans un grand pensionnat de Châlons.

Encore rouge et pâle de pleurs d'avoir quitté sa mère, le coeur gonflé d'une inexprimable tristesse, il regardait tout avec des yeux stupides, ne répondait rien aux questions bruyantes dont l'accablait l'école et devenait sourd du bourdonnement de ces voix confuses. La voix, l'adieu de sa mère retiraient toute son intelligence à son coeur. Il resta immobile, le sourcil froncé, les yeux à demi fermés, au grand divertissement des habitués, qui l'isolèrent au milieu d'un rond qu'ils formèrent en se tendant par la main, tournant autour de lui avec une vélocité d'écolier, et criant à lui briser le tympan:

—Honneur au discours de réception! prix d'éloquence au camarade! dans quelle langue dit-il bonjour?

A tout cela René n'ouvrit pas la bouche.

Ils finirent même par s'impatienter d'insulter cette bûche, et coururent à la picorée d'autres jeux pour remplir l'heure si belle, si furtive de la récréation.

Le soir, las d'une séance où il n'avait rien compris, d'une route à pied, et de son coeur gonflé de larmes, il s'endormit d'un sommeil si lourd, si léthargique, sur un banc du réfectoire, qu'il ne sentit pas les milles piqûres dont il était l'immobile objet, comme le mannequin d'un monstre qui servait à l'éducation attaquante des dogues que les chevaliers du moyen-âge dressaient contre lui.

Le bon René, dont la douleur n'était pas belle, l'accoutrement peu moderne, d'une coupe grossière, donnant à ses neuf ans le poids d'un savoyard de quarante, fut pris en goût par vingt écoliers qui ne dormaient pas, pour faire éclore cent traits d'esprit qu'ils jugeaient très-brillants et très-fins! L'un trouvait charmant de chatouiller ses lèvres avec une plume, ce qui lui faisait faire d'étranges grimaces sans s'éveiller; mais cette convulsion souffrante d'un être dont on tourmente la fatigue se révélait sur son jeune visage avec je ne sais quel charme comique dont les tourmenteurs étaient aux anges. Quand le rire étouffé s'éteignait une seconde pour reprendre haleine, un de ces messieurs venait poser adroitement sur le nez sans défense du dormeur un long cornet de papier terminé en trompette et les applaudissements n'osant éclater de peur, disaient-ils, de réveiller la bête, un hourra général, traduit par des coups de talons imitatifs, faisait rouler la joie autour de cette bande de petits anges tombés, permettez-moi de leur donner ce nom, bien qu'ils aient pu se relever plus tard.

On avait coiffé René des plus risibles bonnets, on venait de l'étendre tout de son long par terre, pour jouer au mort, disaient-ils, sans qu'il ait donné d'autre signe de vie que ces contractions nerveuses des yeux et des lèvres qui les faisaient mourir de rire. Quand un plus hardi, voulant réchauffer la scène, dit à son voisin:

Tiens-le! tiens-le! et vint porter jusque sous ces narines entr'ouvertes, la flamme épaisse d'une lampe qu'il détacha du mur.

René ne poussa qu'un rugissement sourd, comme un jeune lion qui n'a pas encore combattu, mais dont on provoque imprudemment la force. Il se soulève à demi, les yeux encore baignés de sommeil et de ses derniers pleurs, saisit par les jambes les deux assaillants effrayés, les roule avec lui, sous lui, les crible de coups de poing, de coups de pied qui tombent si heureusement à leur adresse, qu'on n'entend plus rire, mais crier:—Aie! tu me casses la tête! tu m'étrangles! A moi, Jules! Achille, à moi! au secours! monsieur le recteur! Il accourut en effet à ce singulier combat, dont les témoins cherchent à se sauver, eu criant: ce n'est pas moi! et dont le vainqueur toujours endormi tape comme un désespéré, sur le cauchemar dont il ne devine seulement pas la forme. Il continua néanmoins de rugir et de se battre instinctivement avec une telle vigueur de courage, qu'il les eut étranglés peut-être dans une entière innocence, comme Hercule au berceau mit à mort le serpent qui venait s'attaquer à son sommeil.

Plus personne, ni cette nuit, ni jamais, n'eut dans le dortoir la fantaisie d'aller passer une plume ou du feu dans les naseaux de la bête, bien que René ne se fût pas réveillé une seconde dans l'orgueil de la victoire. Il n'en eut pas même le souvenir, en se retrouvant le lendemain dans un lit qu'il ne connaissait pas encore, qui n'était plus près de celui de sa mère! et où on l'avait roulé tout d'une pièce après qu'on fut parvenu à détacher ses bras nerveux comme incrustés au corps des amateurs de malices.

Il ne sentit qu'une lassitude vague, dont la cause lui resta inconnue. Ceux qui s'en ressouvenaient le plus avaient, outre cette lassitude, plusieurs bosses, plusieurs empreintes d'ongles incultes et de souliers ferrés, dont il souffrirent beaucoup, mais dont ils ne demandèrent pas raison au réveil paisible de René.

On ne savait encore de quelle couleur étaient ses paroles quand il fut interpellé solennellement par le recteur. Au nom de René Beaumal, vous devinez que ce fût comme une seule tête qui se leva de dessus vingt livres posés ouverts sur les tables. Un fil d'électricité n'eût pas tourné plus rapidement quarante yeux ardents vers celui qu'on nommait, à leur grande joie, René!

—Levez-vous donc, René! s'écria le recteur.

—Il ne se lèvera pas! il ne se lèvera pas.... murmurèrent les écoliers sans avoir l'air d'y toucher.

—Silence, là-bas! lança le recteur d'une voix qui fit retomber tous les yeux sur les livres qui leur servaient de maintien.

Alors René fut interrogé sur ce qu'il ne savait pas encore. Sa bouche s'ouvrit au moins cinq fois, sans laisser échapper autre chose que l'air qui remplissait sa poitrine oppressée.

—Il parlera! il ne parlera pas! il parlera! il ne parlera pas! dirent les impitoyables dans un bourdonnement qui laissait une chance à la négation.

—Si vous ne voulez pas me parler, René, insista le recteur qui n'avait pas de temps à perdre vous serez mis à la porte. Savez-vous votre leçon?

—Ma le....le....leçon?

—Eh bien! oui, quoi! elle n'est pas bien longue, je crois!

—Elle....elle....elle....

—Ah! mon Dieu qu'est-ce qu'il a donc mangé, hasarda un malin sous son livre, et de rire!

Quand le silence fut rétabli, et l'effroi de René plus glaçant que jamais, il voulut en finir avec son sort, car il croyait toucher au dernier moment de sa vie. Il poussa au dehors ce qu'il crut être son ame, et bégaya:

—On m'a....m'a....m'a....

O joie d'école! o découverte pleine d'avenir et de moqueries!

René était bègue. C'était à l'adorer, c'était à n'en plus douter, c'était à frémir d'espérance à chaque parole qui allait prendre une forme inattendue sous cette langue esclave. Les deux blessés furent guéris. Ils burent joyeusement l'humiliation du jeune infirme qui faisait oublier la douleur, et ils ne cachèrent plus leurs contusions.

Que faut-il vous dire de tout ce que souffrit l'humble et patiente créature, servant de risée à cette petite populace fanfaronne? c'est à ne pas rendre, à souffrir de se le rappeler, à haïr, si l'on pouvait haïr, ceux qui amassèrent sur lui plus de maux que l'infortune et la nature, un moment distraite en le formant, n'en avait laissé choir sur cet inoffensif et pauvre garçon. C'était peu d'être bègue, lent à démêler sa pensée sous les nuages que la raillerie amoncelait autour de sa tête humiliée, il devint presque muet; car il avait tant de crainte de faire rire en parlant, qu'il ne parlait plus. Les mots les plus brefs lui causaient des peines infinies à sortir de ces lèvres; elles tremblaient, s'agitaient à vide, et l'effort inutile produisait une contorsion pénible qui ravissait les lâches oppresseurs de René.

Une douleur vive qu'ils se plaisaient à lui faire sentir tous les matins sans qu'il osât s'en plaindre, c'était de l'éveiller en sursaut, lui qui avait le sommeil le plus complet de son âge, ce sommeil de marmotte, dans lequel toute la vie extérieure est suspendue ou cachée, où pas un cheveu ne bouge, et que les mères ont tant peur de troubler! C'était la joie des lutins rassemblés autour de ce pauvre enfant immobile, qui riaient aux anges, comme on dit. Ils poussaient tout-à coup une clameur si furieuse dans l'oreille du dormeur, qu'il bondissait hors de son lit, tandis que les écoliers, sans paraître s'occuper de lui, filaient en chantonnant de côté et d'autre. C'était du beau! de quoi les rendre bien fiers: je vous laisse y penser.

René s'habillait triste et comme ivre de cette fanfare qui le rendait au mouvement avec une violence propre à lui rompre le coeur. Pauvre René! ce n'était plus ce réveil entr'ouvert par une voix douce, qui coulait d'abord à son ame. Il n'y avait plus de main caressante qui roulait sur son front comme pour en écarter le sommeil. Il n'entendait plus cette femme absente lui souffler patiemment: Allons, René! allons, mon garçon! c'est jour! Et le prendre, et rire tout bas et l'habiller à demi, et répéter: «Allons:» jusqu'à ce qu'il rît à son tour, en ouvrant ses yeux doux et pleins de pitié de cette femme, dont la bonté l'avait rendu bon jusqu'au coeur!

Oh! respectez le sommeil de l'enfance. Qui sait si ce n'est pas alors que l'ame rend sa visite à Dieu.



II.

LES PETITS NAGEURS.

On arriva ainsi jusqu'en juillet 1830. L'extrême chaleur ralentissait parfois le courage des écoliers. René savait lire et causait souvent tout bas avec ses livres, ses bons amis, qui ne lui faisaient pas la grimace. Il savait écrire et il parlait de cette manière sans bégayer. On trouvait sur toutes ses pages.

—Bon jour, ma mère! comment vous portez-vous?

—J'aime mon père et ma mère.

—Je voudrais bien aller voir ma mère!

—Quand je serai grand, je soignerai ma mère, et je la laisserai dormir! Elle dormira si elle veut jusqu'à huit heures.

—Oh! je voudrais qu'il ne fît jour qu'à huit heures!

Sa parole écrite était correcte et vraie; son écriture presque élégante. Ma mère! était surtout enjolivé de traits tout-à-fait jolis. C'était comme une manière de couronne qu'il avait un sérieux plaisir à composer autour. Il se croyait heureux quand on le laissait là, quand il marchait vite, seul et libre, le nez au vent, jetant ses bras devant lui, sur sa tête, en tous sens, comme un être fort qui veut grandir. Personne dans l'école ne le haïssait, il ne troublait personne, il était même aimé comme une espèce de joujou solide sur lequel on se jetait quand les autres étaient cassés.

On l'appelait souvent bègue-bête pour rire, et plus souvent bonne-bête. Quelques ricaneur peut-être avaient rencontré ses yeux; c'étaient de ces yeux qui lancent une pensée toute chaude, toute claire; son regard ne bégayait pas plus que son âme; vous allez voir! Car je l'aime, moi, ce petit René; je veux vous le raconter des pieds à la tête.

Ce jour-là, en juillet, un jour tout de feu et de vacance, on alla se baigner. Toute l'école avait soif d'eau, de cette belle eau dont le bruit rafraîchit l'oreille, dont le courant plein de perles blanches semble entrer par les yeux dans l'imagination altérée de ceux qui la regardent.

Dernier venu dans l'école, à l'époque de l'année où les bains de rivière sont clos jusqu'à l'autre été, René ne savait pas nager.

—René, lui dit-on, vous veillerez sur les habits et vous regarderez comme font les autres pour vous déniaiser un peu. Le maître de natation vous commencera bientôt.

René avait répondu oui, par un signe de tête; car il avait toujours l'épouvante de dire: ou... ou....oui! c'était plus fort que lui.

«Messieurs, vous m'attendrez! dit le sous-maître qui avait oublié je ne sais quoi et qui les laissa aller en avant. Que pas un de vous ne se déshabille avant mon retour! je connais la rivière; il y a une petite barre dangereuse. Restez tous tranquilles, sur votre parole d'honneur!»

Parole d'honneur! parole d'honneur! répondirent en s'égosillant les écoliers, qui ne demandent jamais mieux que de lancer une exclamation dans l'air. Mais on n'a trop de raison de dire: autant en emporte le vent. Je voudrais qu'on réfléchit longtemps avant de dire parole d'honneur pour une chose à venir.

Achille pouvait conduire ce bataillon civil, car Achille avait treize ans. C'était un grand garçon droit comme une flèche, blond, joli, prompt comme un épervier. Quand il voulait un plaisir, sur l'eau, sous l'eau, n'importe, il s'élançait au but, la tête la première; chacun de ses mouvements avait l'air de crier: Gare que je je passe! «il n'avait pas dit tout-à-fait parole d'honneur, comme les autres, mais seulement eur, eur, eur! ce qui n'engage à rien du tout, ce qui n'est qu'un cri comme un autre.

Voilà donc ce héros des rivières poussé par l'orgueil de l'indépendance, attiré par le bruit frais du large bain qui les attendait tous, le voilà en deux secondes, sans habit, sans bas, sans chemise, dans l'eau! Vous jugez de l'étonnement des autres qui regardaient, la bouche béante, le plongeur hardi, si pressé de déployer ses habiles manoeuvres, que toute prudence l'abandonna. Il but, il tourna, il eut peur et disparut devant l'inexprimable terreur de ses camarades qui poussèrent des plaintes vers le ciel, sans pouvoir détacher leurs pieds du sol où ils semblaient attachés par force.

René fit trois pas en arrière, et d'une voix hurlante de douleur, cria vers le sous-maître dont les cheveux se dressèrent d'effroi:

—Secours! secours!

Alors jetant son habit à la tête des écoliers tremblants qu'il bouscula dans un trouble intelligent, il bondit juste à la place où avait coulé son camarade. Sa chute les couvrit d'eau et leur fit froid.

—Il ne sait pas nager! disaient les enfants pâles en se tordant les mains, et s'embrassant à demi-morts. Deux petits étaient tombés à genoux pour ne pas voir et sanglotaient: Le sous-maître, suffoqué de poussière, accourait de toutes les forces de sa vie; mais que c'était lent devant la mort qui va si vite? si vite qu'Achille, étouffé par la suffocation de l'eau et de la peur, ne pouvait plus seconder René qui le tenait par les cheveux d'une main infatigable, nageait des pieds et de l'autre main avec l'instinct sublime d'un chien qu'on jette à l'eau pour la première fois. Ses yeux ardents, ses mouvements souples et rapides, l'inébranlable idée de sauver son fardeau en le poussant vers le bord, et quelque ange arrêté peut-être devant sa généreuse imprudence, le soutinrent longtemps. Tout-à-coup il s'enfonce..., un silence d'horreur répond seul au précepteur haletant qui atteignait cette scène de désolation.

—Où sont-ils? dit le pauvre maître dont les dents claquent d'impatience, et qui se déshabille en les interrogeant.

—Là! montrent les enfants, où tout s'était englouti: mais ce n'était plus là.

René, comme attiré vers le bord par une puissance divine, y paraît à l'instant, traînant après lui sa proie évanouie, sans qu'il semble trop surpris de ce prodige. Il eût fallu lui couper le bras pour l'en séparer; car ses doigts étaient si prodigieusement serrés dans les cheveux d'Achille, que sa main saignait déchirée de ses propres ongles.

Les acclamations qui le reçurent l'effrayèrent d'abord, et il se remit à crier: secours! secours! pensant que le pauvre Achille n'était pas entièrement sauvé. Mais il était sauvé! ivre et faible encore, étendu sur le gravier que le soleil rendait brûlant. Il regardait René nu comme lui, René, que des souvenirs confus, des fils noués entre eux pour l'avenir tout entier, lui faisaient chercher, contempler comme son sauveur. Bénédiction! il revenait à la vie par la reconnaissance. Leurs yeux ne pouvaient se détacher l'un de l'autre.

Oh! comment t'es-tu jeté ainsi sans savoir nager? lui dit-on en l'accablant de caresses et de questions.

Je ne l'ai pas senti, réplique René avec feu: tout ce que je sais, c'est que j'étais sur les cailloux, et que tout d'un coup, je me suis trouvé dans l'eau: j'ai vu clair, j'ai vu jusqu'au fond, j'y suis descendu comme par un escalier glissant; j'ai trouvé sa tête j'ai dit: bon! A présent, il faut revenir. Et j'ai poussé devant nous. Le chemin s'ouvrait tout seul; je n'ai pas eu de peine; seulement, j'ai cru une fois qu'il s'enfonçait sous moi, et j'ai coulé dessous pour voir. Alors avec deux bons coups de pieds, si fort que je n'en respirais plus, j'ai tout jeté de ce côté, et le voilà! termina-t-il avec un rire plein de larmes. Il ne bégayait plus.

—Tu parles comme tu nages! lui dit le précepteur en secouant sa main, transporté d'admiration, tandis que les autres faisaient cercle pour écouter son récit plein de candeur.

C'est, mon Dieu, vrai!» répliqua René en s'écoutant parler avec autant de surprise que de joie.

J'ai dit tout ça couramment. Avez-vous bien entendu? Ajouta-t-il pour s'assurer que ce n'était pas un rêve.

—Oui, mon bon petit garçon, dit le maître, en le couvrant de caresses: oui! aussi couramment que je te proclame une digne créature! Oh! je parlerai donc comme un autre à présent! on ne se moquera plus de moi!

Non! non! Vive René! cria toute l'école en l'emportant dans ses bras.

—Oh! quand ma mère va savoir que je ne suis plus bègue! dit l'enfant.




LE PETIT INCENDIAIRE.

On a vu un enfant sur le banc des accusés.

Je crois que c'était en France, tout près de nous.

Il se ressouvenait d'un feu d'artifice, dont les soleils et les fusées au fond de la nuit sombre avaient laissé une vive impression dans sa mémoire. Ce spectacle le poursuivait surtout quand le jour tombait. Il eût donné tout au monde pour revoir une fois encore éclater ces ardentes lumières qui avaient enflammé l'air et son imagination de cinq ans. Mais il n'avait rien du tout pour acheter un feu d'artifice, et il rêvait sur le bord de la chaumière.

Les yeux fixes et la tête penchée, il cherchait un moyen d'assister encore à cette fête du soir qui l'avait rempli d'émotion et d'étonnement.

Une idée simple, mais fatale traversa son petit cerveau, comme une lueur traverse l'obscurité. Demeuré seul pour garder la maison dont son père et sa mère s'étaient forcément éloignés un moment, il saisit une lampe qui pendait sous l'âtre et porta lui-même sa flamme dans tout ce qu'elle pouvait dévorer. La grange recelait de la paille, du foin sec; le feu se répandit avec une telle rapidité qu'il s'élança comme des langues dévorantes vers le ciel, consumant la grange et la chaumière sans qu'il en restât rien, que les cendres noires et tristes comme l'action terrible de ce jeune insensé.

Il venait de réduire à la mendicité son père, sa pauvre mère, et lui, nuisible à tous par cette action stupide dont il regardait l'effet terrible avec une admiration profonde et muette.

Ah! que ce fut une grande douleur, quand la mère, au milieu des flammes qui sortaient furieuses de la chaumière, s'élança en appelant son vieux père, l'image de Dieu sur la terre, qui porte bonheur à la maison des enfants! ce bon vieillard paralytique n'avait pas poussé un cri. La fumée sans doute l'avait étouffé dans son lit, on le trouva consumé victime du caprice monstrueux de son petit-fils, qu'il aimait qu'il avait béni avant de s'endormir... Ah! oui, cela fut, cela est encore une grande douleur! et l'on ne comprend point comment la mère infortunée ne mourut pas, quand l'enfant, épouvanté des cris et des sanglots de tout ce monde épouvanté, se mit à crier lui-même: J'ai fait le feu! j'ai fait le feu! Horreur et pitié!

Jugez quand il passa le lendemain au travers du village, lié avec des cordes, au milieu d'hommes armés comme pour garder un grand criminel et que tout le monde criait après lui: à l'incendiaire! à l'incendiaire!

Sa mère pâle et ruinée qui le suivait à pied, ne pouvant se résoudre à l'abandonner, joignait les mains comme pour demander à toutes ces voix du silence par pitié pour elle, la mère, la pauvre femme sans chaumière, sans vieux père à servir tous les jours, sans jeune enfant plein d'innocence comme était hier ce coupable garrotté!

Voilà comme il parut, suivi d'un peuple immense au tribunal, qui n'avait jamais vu un si jeune coupable et qui resta longtemps dans un triste silence quand l'enfant interrogé répondit, tout épuisé de larmes:

—Je voulais revoir un feu d'artifice. On le condamna à vivre trois cent soixante-cinq jours dans une obscurité profonde, où sa mère seule l'éclaire et le console....Priez pour lui!




LE TUEUR DE MOUCHES.

Tuer une mouche, c'est affliger Dieu. C'est détruire un de ses chers ouvrages.

Un homme bien malheureux qui avait tout perdu sur la terre, hors le souvenir et la résignation, rêvait des heures entières, occupé à regarder ces charmantes promeneuses des vitres, où elles glissent en tous sens comme sur un chemin droit. Un jour, il vit Paul que j'ai bien connu, en saisir au vol, quatre qu'il dépouilla de leurs ailes, pour en faire disait-il des chiens, et les atteler ensuite à quelque chariot fait de papier, ou d'une noisette creuse.

L'homme se retint de parler, mais il soupira une douce croyance s'attachait pour lui au vol imprévu de leurs ailes, sur sa tête ou sur ces mains; il se persuadait que l'ame de quelque ami, d'un de ses enfants pleurés, venait baiser sa tristesse, et l'action de Paul lui serra le coeur.

Mais Paul, bientôt las de faire courir ses chiens fatigués, leur rendit la liberté et trancha du généreux. Les petites invalides se traînèrent ainsi défigurées sur la terre et moururent.

—En voilà de bien belles! cria Paul, avec un rire avide de victimes: qu'en ferai-je?

Une, deux, trois, quatre, cinq, six vestales! condamnées à être enterrées vives, comme j'ai lu dans mon histoire de Rome. Allons! pas de grâces mesdemoiselles, votre feu s'est éteint; plus de lumière pour vous. Dans la terre! dans la terre!

Il creusa en effet un trou au bord du jardin où il jouait; puis pour être plus sûr que pas une n'échapperait à sa condamnation, il les plongea d'abord dans un cornet de papier, comme dans un cachot préalable, et les ensevelit après dans l'éternelle nuit. Il parcourut ensuite le jardin, à cloche-pied, tout joyeux et tout fier d'avoir imité les Romains.

A peine fut-il loin, que le témoin de cette mauvaise action se pencha en toute hâte vers la sépulture des mouches et qu'il les délivra. Ce fut, avoua-t-il lui même depuis, un moment de profonde joie pour lui, quand il vit ces six petits souffles du ciel y remonter légères quoiqu'un peu étonnées de leur captivité. Sans que le regard fixe de cet homme affligé eut suspendu l'acte barbare de Paul, ce regard le poursuivait. Il le perçait d'un reproche, au milieu de son triomphe et des fleurs du jardin. On eût dit sa conscience! Il revint donc sur ses pas, pour flatter et assoupir cette conscience rigide qui l'empêchait de jouer, et il tourna autour de l'homme immobile.

—Bonjour, monsieur! bonjour, bon monsieur! répéta-t-il d'une voix caressante et obstinée. Veux-tu causer avec moi comme hier?

Je ne cause pas avec le bourreau, répliqua le témoin, qui s'éloigna lentement de Paul anéanti.

Après quelques tours de promenade, il sentit Paul haletant, qui l'accrochait par ses habits et l'étreignait de ses deux bras, au milieu du chemin.

—Monsieur, dit-il, hors d'haleine, je voulait déterrer mes vestales; car je ne suis pas le bourreau, monsieur, je suis Paul qui demeure là. Mais si tu savais... les vestales n'y sont plus.» Elles sont sauvées! dit son juge en se penchant vers lui! sauvées par moi toutes les six...—Merci! oh! merci, bon monsieur! s'écria l'enfant en larmes se jetant à son cou. Paul, appelle-moi Paul, dit-il en le serrant avec passion un jour je serai bon comme toi.»

—Au revoir, Paul! tu te ressouviendras de moi comme d'un courageux ami, répondit l'homme en passant sa main sur les traits consolés de Paul.

—Tu verras! dit l'enfant.

Depuis, Paul ne tua pas une mouche.

Il n'y a de créature si petite ni si abjecte qui ne représente la bonté du Créateur.




FIN DU TOME PREMIER.




TABLE
DES
Matières contenues dans le tome premier

Préface aux enfants.

Simple prière.

L'écolier, conte en vers.

L'enfant gâté.

Conte d'enfant, vers.

L'enfant aux pieds nus.

L'enfant et le pauvre, vers.

La poupée monstre.

Deux chiens, vers.

La briseuse d'aiguilles.

Un enfant à son frère, vers.

La lumière.

Le petit menteur, vers.

La petite amateur de crème.

L'enfant amateur d'oiseaux vers.

L'emprunteur.

Le Pélican ou les deux mères, vers.

Le petit danseur.

Le soir d'été, vers.

Les mains blanches.

Les deux abeilles, vers.

Le chien avocat.

Le petit oiseleur, vers.

L'enfant questionneur.

La souris chez un juge, vers.

L'aumône.

Le petit ambitieux, vers.

Le sonneur aux portes.

Un pauvre, vers.

Le petit mendiant.

Le petit peureux, vers.

La jambe de Damis.

La mère à sa fille, vers.

Le petit bègue.

Le petit incendiaire.

Le tueur de mouches.

FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER







*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DES MÈRES ET DES ENFANTS ***

The Project Gutenberg EBook of Le Livre des Mères et des Enfants, Tome I.
by Marceline Desbordes-Valmore

***** This file should be named 14258-h.htm or 14258-h.zip *****
This and all associated files of various formats will be found in:
        http://www.gutenberg.net/1/4/2/5/14258/

Produced by Suzanne Shell, Renald Levesque and the Online Distributed
Proofreading Team. This file was produced from images generously
made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)


Updated editions will replace the previous one--the old editions
will be renamed.

Creating the works from public domain print editions means that no
one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
(and you!) can copy and distribute it in the United States without
permission and without paying copyright royalties.  Special rules,
set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark.  Project
Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
charge for the eBooks, unless you receive specific permission.  If you
do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
rules is very easy.  You may use this eBook for nearly any purpose
such as creation of derivative works, reports, performances and
research.  They may be modified and printed and given away--you may do
practically ANYTHING with public domain eBooks.  Redistribution is
subject to the trademark license, especially commercial
redistribution.



*** START: FULL LICENSE ***

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
Gutenberg-tm License (available with this file or online at
http://gutenberg.net/license).


Section 1.  General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
electronic works

1.A.  By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement.  If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B.  "Project Gutenberg" is a registered trademark.  It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement.  There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement.  See
paragraph 1.C below.  There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works.  See paragraph 1.E below.

1.C.  The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works.  Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States.  If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed.  Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work.  You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D.  The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work.  Copyright laws in most countries are in
a constant state of change.  If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work.  The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E.  Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1.  The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.net

1.E.2.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges.  If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
1.E.9.

1.E.3.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
terms imposed by the copyright holder.  Additional terms will be linked
to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4.  Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5.  Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6.  You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
word processing or hypertext form.  However, if you provide access to or
distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.net),
you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
form.  Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7.  Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8.  You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
     the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
     must be paid within 60 days following each date on which you
     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
     sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
     address specified in Section 4, "Information about donations to
     the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
     you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
     does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
     License.  You must require such a user to return or
     destroy all copies of the works possessed in a physical medium
     and discontinue all use of and all access to other copies of
     Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
     money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
     electronic work is discovered and reported to you within 90 days
     of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free
     distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9.  If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH F3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3.  LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund.  If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including including checks, online payments and credit card
donations.  To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.net

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.