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JE serais heureux que le public anglais sût le bien que je pense du livre de M. Gunn, sur la philosophie francaise depuis 1851. Le sujet choisi est neuf, car il n'existe pas, à ma connaissance, d'ouvrage relatif à toute cette période de la philosophie française. Le beau livre que M. Parodi vient de publier en français traite surtout des vingt dernières années de notre activité philosophique. M. Gunn, remontant jusqu'à Auguste Comte, a eu raison de placer ainsi devant nous toute le seconde moitié du siècle passé. Cette période de cinquante ans qui a précédée notre vingtième siècle est d'une importance capitale. Elle constitue réellement notre dix-neuvième siècle philosophique, car l'oeuvre même de Maine de Biran, qui est antérieure, n'a été bien connue et étudiée qu'à ce moment, et la plupart de nos idées philosophiques actuelles ont été élaborées pendant ces cinquante ans.
Le sujet est d'ailleurs d'une complication extrême, en raison du nombre et de la variété des doctrines, en raison surtout de la diversité des questions entre lesquelles se sont partagés tant de penseurs. Dr. Gunn a su ramener toutes ces questions à un petit nombre de problèmes essentiels : la science, la liberté, le progrès, la morale, la religion. Cette division me paraît heureuse. Elle répond bien, ce me semble, aux principales préoccupations de la philosophie francaise. Elle a permis à l'auteur d'être complet, tout en restant simple, clair, et facile à suivre.
Elle présente, il est vrai, un inconvénient, en ce qu'elle morcelle la doctrine d'un auteur en fragments dont chacun, pris à part, perd un peu de sa vitalite et de son individualité. Elle risque ainsi de présenter comme trop semblable à d'autres la solution que tel philosophe a donnée de tel problème, solution qui, replacée dans l'ensemble de la doctrine, apparaîtrait comme propre à ce penseur, originale et plus forte. Mais cet inconvénient était inévitable et l'envers de l'avantage que je signalais plus haut, celui de l'ordre, de la continuité et de la clarté.
Le travail du Dr. Gunn m'apparaît comme tout à fait distingué. Il témoigne d'une information singulièrement étendue, précise et sûre. C'est l'oeuvre d'un esprit d'une extrême souplesse, capable de s'assimiler vite et bien la pensée des philosophes, de classer les idées dans leur ordre d'importance, de les exposer méthodiquement et les apprécier à leur juste valeur.
[These pages are a revised extract from the more formal Rapport which was presented by M. Bergson to the University of Liverpool].